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SOMMAIRES DES PIÈCES DE MOLIÈRE.

loisir, dans lequel les hommes rendus à eux-mêmes se livrent à leur caractère et à leur ridicule, est le seul temps propre pour la comédie : car c’est le seul où ceux qui ont le talent de peindre les hommes aient l’occasion de les bien voir, et le seul pendant lequel les spectacles puissent être fréquentés assidûment. Aussi ce ne fut qu’après avoir bien vu la cour et Paris, et bien connu les hommes, que Molière les représenta avec des couleurs si vraies et si durables.

Les connaisseurs ont dit que l’Étourdi devrait seulement être intitulé les Contre-temps. Lélie, en rendant une bourse qu’il a trouvée, en secourant un homme qu’on attaque, fait des actions de générosité plutôt que d’étourderie. Son valet paraît plus étourdi que lui, puisqu’il n’a presque jamais l’attention de l’avertir de ce qu’il veut faire. Le dénoûment, qui a trop souvent été l’écueil de Molière, n’est pas meilleur ici que dans ses autres pièces : cette faute est plus inexcusable dans une pièce d’intrigue que dans une comédie de caractère.

On est obligé de dire (et c’est principalement aux étrangers qu’on le dit[1]) que le style de cette pièce est faible et négligé, et que surtout il y a beaucoup de fautes contre la langue. Non-seulement il se trouve dans les ouvrages de cet admirable auteur des vices de construction, mais aussi plusieurs mots impropres et surannés. Trois des plus grands auteurs du siècle de Louis XIV, Molière, La Fontaine, et Corneille, ne doivent être lus qu’avec précaution par rapport au langage. Il faut que ceux qui apprennent notre langue dans les écrits des auteurs célèbres y discernent ces petites fautes, et qu’ils ne les prennent pas pour des autorités.

Au reste l’Étourdi eut plus de succès que le Misanthrope, l’Avare, et les Femmes savantes, n’en eurent depuis. C’est qu’avant l’Étourdi on ne connaissait pas mieux, et que la réputation de Molière ne faisait pas encore d’ombrage. Il n’y avait alors de bonne comédie au théâtre français que le Menteur.


LE DÉPIT AMOUREUX,
Comédie en vers et en cinq actes, représentée au théâtre du Petit-Bourbon, en 1658[2].

Le Dépit amoureux fut joué à Paris immédiatement après l’Étourdi. C’est encore une pièce d’intrigue, mais d’un autre genre

  1. Cela est de 1764.
  2. Le Dépit amoureux avait été représenté à Béziers, en 1656 ; il le fut à Paris au mois de décembre 1658.