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CONSEILS
À M.  RACINE
SUR
SON POËME DE LA RELIGION
PAR UN AMATEUR DES BELLES-LETTRES[1].

(1742)

En lisant le poëme de la Religion du fils de notre illustre Racine, j’ai remarqué des beautés ; mais j’ai senti un défaut qui règne dans tout l’ouvrage : c’est la monotonie. On peut remédier aisément, dans une seconde édition, à toutes les autres fautes ; on rectifie une idée fausse, on embellit des vers négligés, on éclaircit une phrase obscure, on ajoute des beautés : mais il sera un peu plus difficile de changer l’uniformité, répandue sur tout l’ouvrage, en cette variété piquante qui seule peut donner du plaisir. Je me souviens d’un vers charmant de feu M.  de Lamotte[2] :

L’ennui naquit un jour de l’uniformité.

Cependant j’ose exhorter l’estimable auteur de ce poëme à faire les plus grands efforts pour atteindre à cette beauté absolument nécessaire. J’ai ouï dire à M.  Silhouette que la Boucle de cheveux de M.  Pope n’eut d’abord qu’un médiocre succès, parce qu’il n’y avait point d’invention ; mais qu’elle réussit lorsque l’auteur eut embelli ce badinage en y introduisant des génies, des sylphes, et des ondins. Ce n’est pas de pareilles fictions, sans doute, que

  1. Voltaire, comme on voit, ne mit pas son nom à ces Conseils, dont il parut une critique anonyme sous le titre de : Lettre de M. D. L. M. à M.…, au sujet des Conseils donnés à M.  Racine, in-12 de vingt pages. (B.)
  2. Livre IV, fable xv.