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CE QU’ON NE FAIT PAS
ET CE
QU’ON POURRAIT FAIRE

(1742[1])

Laisser aller le monde comme il va, faire son devoir tellement quellement, et dire toujours du bien de monsieur le prieur, est une ancienne maxime de moine ; mais elle peut laisser le couvent dans la médiocrité, dans le relâchement et dans le mépris. Quand l’émulation n’excite point les hommes, ce sont des ânes qui vont leur chemin lentement, qui s’arrêtent au premier obstacle, et qui mangent tranquillement leurs chardons à la vue des difficultés dont ils se rebutent ; mais, aux cris d’une voix qui les encourage, aux piqûres d’un aiguillon qui les réveille, ce sont des coursiers qui volent et qui sautent au delà de la barrière. Sans les avertissements de l’abbé de Saint-Pierre[2], les barbaries de la taille arbitraire ne seraient peut-être jamais abolies en France. Sans les avis de Locke, le désordre public dans les monnaies n’eût point été réparé à Londres. Il y a souvent des hommes qui, sans avoir acheté le droit de juger leurs semblables, aiment le bien public autant qu’il est négligé quelquefois par ceux qui acquièrent, comme une métairie, le pouvoir de faire du bien et du mal.

Un jour, à Rome, dans les premiers temps de la république, un citoyen dont la passion dominante était le désir de rendre son pays florissant demanda à parler au premier consul ; on lui

  1. Cet opuscule, imprimé dans le tome V de l’édition de 1742 des Œuvres de Voltaire, est peut-être plus ancien. Dans une édition in-8o, dont le tome VI porte la date de 1745, il est intitulé Discours sur ce qu’on ne fait pas et sur ce qu’on pourrait faire. (B.)
  2. Mémoire sur l’établissement de la taille proportionnelle.