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COURTE RÉPONSE

été étonné de ne pouvoir la croire en l’admirant ; mais j’en ai vu enfin la raison : c’est qu’elle-même n’y croyait guère, et c’est ce qui arrive souvent entre ceux qui s’imaginent vouloir persuader, et ceux qui s’efforcent de se laisser persuader.

Plus je vais en avant, et plus je suis confirmé dans l’idée que les systèmes de métaphysique sont pour les philosophes ce que les romans sont pour les femmes. Ils ont tous la vogue les uns après les autres, et finissent tous par être oubliés. Une vérité mathématique reste pour l’éternité, et les fantômes métaphysiques passent comme des rêves de malades.

Lorsque j’étais en Angleterre, je ne pus avoir la consolation de voir le grand Newton, qui touchait à sa fin[1]. Le fameux curé de Saint-James, Samuel Clarke, l’ami, le disciple et le commentateur de Newton, daigna me donner quelques instructions sur cette partie de la philosophie qui veut s’élever au-dessus du calcul et des sens. Je ne trouvai pas, à la vérité, cette anatomie circonspecte de l’entendement humain, ce bâton d’aveugle avec lequel marchait le modeste Locke, cherchant son chemin et le trouvant ; enfin cette timidité savante qui arrêtait Locke sur le bord des abîmes. Clarke sautait dans l’abîme, et j’osai l’y suivre. Un jour, plein de ces grandes recherches qui charment l’esprit par leur immensité, je dis à un membre très-éclairé de la société : « M.  Clarke est un bien plus grand métaphysicien que M.  Newton. — Cela peut être, me répondit-il froidement ; c’est comme si vous disiez que l’un joue mieux au ballon que l’autre. » Cette réponse me fit rentrer en moi-même. J’ai depuis osé percer quelques-uns de ces ballons de la métaphysique, et j’ai vu qu’il n’en est sorti que du vent. Aussi quand je dis à M.  de S’Gravesande : Vanitas vanitatum, et metaphysica vanitas[2], il me répondit : « Je suis bien fâché que vous ayez raison. »

Le P. Malebranche, dans sa Recherche de la vérité, ne concevant rien de beau, rien d’utile que son système, s’exprime ainsi : « Les hommes ne sont pas faits pour considérer des moucherons ; et on n’approuve pas la peine que quelques personnes se sont donnée de nous apprendre comment sont faits certains insectes, la transformation des vers, etc. Il est permis de s’amuser à cela quand on n’a rien à faire, et pour se divertir. » Cependant cet amusement à cela pour se divertir nous a fait connaître les ressources inépui-

  1. Voltaire était allé en Angleterre au mois de mai 1726, et Newton mourut le 20 mars 1727.
  2. Voyez, dans la Correspondance, la lettre du 1er juin 1738.