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ANECDOTES SUR LOUIS XIV.

savait le jour que le roi devait se promener de ce côté avec toute sa cour. Sa Majesté ne manqua pas de dire comliien ce morceau de forêt lui déplaisait. « Sire, lui répondit-il, ce bois sera abattu dès que Votre Majesté l’aura ordonné. — Vraiment, dit le roi, s’il ne tient qu’à cela, je l’ordonne, et je voudrais déjà en être défait. — Hé bien, sire, vous allez l’être. » Il donna un coup de sifflet, et on vit tomber la forêt. « Ah ! mesdames, s’écria Mme la duchesse de Bourgogne, si le roi avait demandé nos têtes, M. d’Antin les ferait tomber de même. » Bon mot un peu vif, mais qui ne tirait point à conséquence.

C’est ainsi que tous les courtisans cherchaient à lui plaire, chacun selon son pouvoir et son esprit. Il le méritait bien, car il était occupé lui-même de se rendre agréable à tout ce qui l’entourait ; c’était un commerce continuel de tout ce que la majesté peut avoir de grâces sans jamais se dégrader, et de tout ce que l’empressement de servir et de plaire peut avoir de finesse sans l’air de la bassesse. Il était surtout avec les femmes d’une attention et d’une politesse qui augmentait encore celle de ses courtisans, et il ne perdit jamais l’occasion de dire aux hommes de ces choses qui flattent l’amour-propre en excitant l’émulation, et qui laissent un long souvenir.

Un jour, madame la dauphine, voyant à son souper un officier qui était très-laid, plaisanta beaucoup et très-haut sur sa laideur : « Je le trouve, madame, dit le roi encore plus haut, un des plus beaux hommes de mon royaume, car c’est un des plus braves. »

Le comte de Marivault, lieutenant général, homme un peu brutal, et qui n’avait pas adouci son caractère dans la cour même de Louis XIV, avait perdu un bras dans une action, et se plaignait un jour au roi, qui l’avait pourtant récompensé autant qu’on peut le faire pour un bras cassé : « Je voudrais avoir perdu aussi l’autre, et ne plus servir Votre Majesté. — J’en serais bien fâché pour vous et pour moi », lui répondit Louis XIV ; et ce discours fut suivi d’une grâce qu’il lui accorda. Il était si éloigné de dire des choses désagréables, qui sont des traits mortels dans la bouche d’un prince, qu’il ne se permettait pas même les plus innocentes et les plus douces railleries, tandis que les particuliers en font tous les jours de si cruelles et de si funestes.

Il faisait un jour un conte à quelques-uns de ses courtisans, et même il avait promis que le conte serait plaisant ; cependant il le fut si peu que l’on ne rit point, quoique le conte fût du roi. M. le prince d’Armagnac, qu’on appelait M. Le Grand, sortit alors de la chambre, et le roi dit à ceux qui restaient : « Messieurs,