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ANECDOTES SUR LOUIS XIV.

aucun empereur turc qui ne fût un homme médiocre et cruel, Philippe IV et Charles II étaient aussi faibles que la monarchie espagnole l’était devenue. Charles II d’Angleterre ne songea à imiter Louis XIV que dans ses plaisirs. Jacques II ne l’imita que dans sa dévotion, et il profita mal des efforts que fit pour lui son protecteur. Guillaume III souleva l’Europe contre Louis XIV ; mais il ne put l’égaler ni en grandeur d’âme, ni en magnificence, ni en monuments, ni en rien de ce qui a illustré ce beau règne. Christine, en Suède, ne fut fameuse que par son abdication et son esprit. Les rois de Suède ses successeurs, jusqu’à Charles XII, ne firent presque rien de digne du grand Gustave ; et Charles XII, qui fut un héros, n’eut pas la prudence qui en eût fait un grand homme. Jean Sobieski, en Pologne, eut la réputation d’un brave général, mais ne put acquérir celle d’un grand roi. Enfin Louis XIV, jusqu’à la bataille d’Hochstedt, fut le seul puissant, le seul magnifique, le seul grand presque en tout genre. L’Hôtel de Ville de Paris lui décerna ce nom de Grand en 1680, et l’Europe, quoique jalouse, le confirma.

On l’a accusé d’un faste et d’un orgueil insupportables, parce que ses statues, à la place Vendôme et à celle des Victoires, ont des bases ornées d’esclaves enchaînés. On ne veut pas voir que celle du grand, du clément, de l’adorable Henri IV, sur le Pont-Neuf, est aussi accompagnée de quatre esclaves ; que celle de Louis XIII[1], faite anciennement pour Henri II, en a autant, et que celle même du grand-duc Ferdinand de Médicis, à Livourne, a les mêmes attributs. C’est un usage des sculpteurs plutôt qu’un monument de vanité. On érige ces monuments pour les rois, comme on les habille, sans qu’ils y prennent garde[2].

Il était si peu amoureux de cette fausse gloire qu’on lui re-

  1. Sur la statue de Henri IV, voyez la note, tome XII, page 552. — La statue de Louis XIII, dont le cheval était de Daniel Volterre, et le cavalier de Biard, qui avait été érigée Place-Royale, à Paris, par le cardinal de Richelieu, a aussi été détruite pendant la Révolution. La statue équestre du même prince, en marbre blanc, qu’on voit aujourd’hui, est de Dupaty. (B.)
  2. L’édition de Dresde, 1748, et la réimpression dans le Mercure de 1750, contiennent de plus ici l’alinéa suivant :

    « On prononça son panégyrique publiquement à Florence et à Bologne. M.  Guglielmini, fameux astronome toscan, fit bâtir une maison à Florence à l’aide de ses libéralités, et grava sur la porte Ædes a deo datæ ; maison donnée par un dieu ; allusion au surnom de Dieudonné, que Louis XIV avait eu dans son enfance, et au vers de Virgile : Deus nobis hœc otia fecit. Cette inscription était sans doute plus idolâtre que celle de la statue de la place des Victoires : Viro immortali, à l’homme immortel ; on a critiqué cette dernière, comme si ce mot immortel signifiait autre chose que la durée de sa renommée. » (B.)