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ANECDOTES SUR LOUIS XIV.

le flatter, une marine de près de deux cents vaisseaux, en comptant les alléges ; soixante mille matelots enclassés en 1681, outre ceux qu’il avait déjà formés ; le port de Toulon, celui de Brest et de Rochefort, bâtis ; cent cinquante citadelles construites ; l’établissement des Invalides, de Saint-Cyr, l’ordre de Saint-Louis, l’Observatoire, l’Académie des sciences, l’abolition du duel, l’établissement de la police, la réforme des lois, on verra que sa gloire était fondée. Il ne fit pas tout ce qu’il pouvait faire, mais il fit beaucoup plus qu’un autre. Quand je dirai que tous les grands monuments n’ont rien coûté à l’État, qu’ils ont embelli, je ne dirai rien que de très-vrai. Le peuple croit qu’un prince qui dépense beaucoup en bâtiments et en établissements ruine son royaume ; mais en effet il l’enrichit ; il répand de l’argent parmi une infinité d’artistes ; toutes les professions y gagnent ; l’industrie et la circulation augmentent : le roi qui fait le plus travailler ses sujets est celui qui rend son royaume plus florissant. Il aimait les louanges, sans doute, mais il ne les aimait pas grossières ; et les caractères qui sont insensibles aux justes louanges n’en méritent d’ordinaire aucune. S’il permit les prologues d’opéra dans lesquels Quinault le célébrait, ces éloges plaisaient à la nation, et redoublaient la vénération qu’elle avait pour lui. Les éloges que Virgile, Horace et Ovide même, prodiguèrent à Auguste, étaient beaucoup plus forts ; et, si on songe aux proscriptions, ils étaient assurément bien moins mérités.

Louis XIV n’adoptait pas toujours les louanges dont on l’accablait. L’Académie française lui rendait régulièrement compte des sujets qu’elle proposait pour le prix. Il y eut une année où elle avait donné pour sujet du prix, laquelle de toutes les vertus du roi méritait la préférence ; il ne voulut pas recevoir ce coup d’encensoir assommant, et défendit que ce sujet fût traité.

Il résulte de tout ce qu’on vient de rapporter que jamais homme n’ambitionna plus la vraie gloire. La modestie véritable est, je l’avoue, au-dessus d’un amour-propre si noble. S’il arrivait qu’un prince, ayant fait d’aussi grandes choses que Louis XIV, fût encore modeste, ce prince serait le premier homme de la terre, et Louis XIV le second[1].

  1. L’édition de 1748 contient de plus ici les huit alinéas suivants, dont le premier seul a été reproduit dans le Mercure, en 1750 :

    « Une preuve incontestable de son excellent caractère, c’est la longue lettre qu’il écrivit à M.  Le Tellier, archevêque de Reims, que j’ai eu le bonheur de voir en original. Il était très-mécontent de M.  de Barbezioux, neveu de ce prélat, auquel il avait donné la place de secrétaire d’État du célèbre Louvois, son père.