dans son vaste empire ; et sans ce Genevois la Russie serait peut-être encore barbare.
Il fallait être né avec une âme bien grande, pour écouter tout d’un coup un étranger, et pour se dépouiller des préjugés du trône et de la patrie. Le czar sentit qu’il avait à former une nation et un empire ; mais il n’avait aucun secours autour de lui. Il conçut dès lors le dessein de sortir de ses États, et d’aller, comme Prométhée, emprunter le feu céleste pour animer ses compatriotes. Ce feu divin, il l’alla chercher chez les Hollandais, qui étaient, il y a trois siècles, aussi dépourvus d’une telle flamme que les Moscovites. Il ne put exécuter son dessein aussitôt qu’il l’aurait voulu. Il fallut soutenir une guerre contre les Turcs, ou plutôt contre les Tartares, en 1696 ; et ce ne fut qu’après les avoir vaincus qu’il sortit de ses États pour aller s’instruire lui-même de tous les arts qui étaient absolument inconnus en Russie. Le maître de l’empire le plus étendu de la terre alla vivre près de deux ans à Amsterdam, et dans le village de Sardam, sous le nom de Pierre Michaëloff. On l’appelait communément maître Pierre (Peterbas). Il se fit inscrire dans le catalogue des charpentiers de ce fameux village, qui fournit de vaisseaux presque toute l’Europe. Il maniait la hache et le compas ; et quand il avait travaillé dans son atelier à la construction des vaisseaux, il étudiait la géographie, la géométrie et l’histoire. Dans les premiers temps, le peuple s’attroupait autour de lui. Il écartait quelquefois les importuns d’une manière un peu rude, que ce peuple souffrait, lui qui souffre si peu de chose. La première langue qu’il apprit fut le hollandais ; il s’adonna depuis à l’allemand, qui lui parut une langue douce, et qu’il voulut qu’on parlât à la cour.
Il apprit aussi un peu d’anglais dans son voyage à Londres, mais il ne sut jamais le français, qui est devenu depuis la langue de Pétersbourg sous l’impératrice Élisabeth, à mesure que ce pays s’est civilisé.
Sa taille était haute, sa physionomie fière et majestueuse, mais défigurée quelquefois par des convulsions qui altéraient les traits de son visage. On attribuait ce vice d’organes à l’effet d’un poison qu’on disait que sa sœur Sophie lui avait donné ; mais le véritable poison était le vin et l’eau-de-vie, dont il fit souvent des excès, se fiant trop à son tempérament robuste.
Il conversait également avec un artisan et avec un général d’armée. Ce n’était ni comme un barbare qui ne met point de distinction entre les hommes, ni comme un prince populaire