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COMPARAISONS.

les odes de Rousseau. C’est dans l’ode qu’il fit après une maladie. Il compare son corps à un arbre renversé par terre :

Tel qu’un arbre stable et ferme,
Quand l’hiver par sa rigueur
De la sève qu’il renferme
A refroidi la vigueur,
S’il perd l’utile assistance
Des appuis dont la constance
Soutient ses bras relâchés,
Sa tête altière et hautaine
Cachera bientôt l’arène
Sous ses rameaux desséchés.
(Liv. IV, od. IX.)

Je souhaiterais dans ces vers plus d’harmonie et des expressions plus justes. « La constance des appuis qui soutient les bras relâchés » est une expression barbare. Le plus grand défaut de cette comparaison est de n’être pas fondée. Il n’arrive jamais qu’on étaye un arbre que l’hiver a gelé. Tant de fautes dans un poëte de réputation doivent rendre les écrivains extrêmement circonspects, et leur faire voir combien l’art d’écrire en vers est difficile.

Il y a de très-belles comparaisons dans Milton ; mais leur principal mérite vient de la nécessité où il est de comparer les objets étonnants et gigantesques qu’il représente, aux objets plus naturels et plus petits qui nous sont familiers. Par exemple, en faisant marcher Satan, qui est d’une taille énorme, il le fait appuyer sur une lance, et il compare cette lance au mât d’un grand navire ; au lieu que nous comparons le canon à la foudre, il compare le tonnerre à notre artillerie. Ainsi toutes les fois qu’il parle du ciel et de l’enfer, il prend ses similitudes sur la terre. Son sujet l’entraînait naturellement à des comparaisons qui sont toutes d’une espèce opposée à l’espèce ordinaire : car nous tâchons, autant qu’il est en nous, de comparer les choses à des objets plus relevés qu’elles ; et il est, comme j’ai dit, forcé à une manière contraire.

Un vice impardonnable dans les comparaisons, et toutefois trop ordinaire, est le manque de justesse. Il n’y a pas longtemps que j’entendis à un opéra nouveau un morceau qui me parut surprenant.

Comme un zéphyr qui caresse
Une fleur sans s’arrêter,
Une volage maîtresse
S’empresse de nous quitter.