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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome23.djvu/379

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DIALOGUES EN PROSE.

l’usurpateur de Rome. « Je voulais, dit-elle, effrayer tellement tous les maris que personne n’osât songer à l’être après l’exemple de Marc-Aurèle, dont la bonté avait été si mal payée[1]. » Y a-t-il rien de plus éloigné de la raison qu’une telle pensée ?

Y a-t-il rien de plus mauvais goût et de plus indécent que de mettre en parallèle le Virgile travesti de Scarron avec l’Énéide, et de dire que « le magnifique et le ridicule sont si voisins qu’ils se touchent[2] » ? On reconnaît trop à ce trait le méprisable dessein d’avilir tous les génies de l’antiquité, et de faire valoir je ne sais quel style compassé et bourgeois aux dépens du noble et du sublime.

Pourquoi dire : « Si par malheur la vérité se montrait telle qu’elle est, tout serait perdu[3] ? » Le contraire n’est-il pas d’une vérité reconnue ?

Cette pensée-ci n’est-elle pas aussi fausse que les autres ? « Il y aurait eu trop d’injustice à souffrir qu’un siècle pût avoir plus de plaisir qu’un autre[4]. » N’est-il pas évident que le siècle de Louis XIV, dans lequel on a perfectionné tous les arts aimables et toutes les commodités de la vie, a fourni plus de plaisirs que le siècle de Charles IX et de Henri III ? Est-il bien raisonnable de faire dire par Julie de Gonzague à Soliman, qui fait le sophiste avec elle : « À un certain point, c’est vice (la vanité) ; un peu en deçà, c’est vertu[5] » ? Voilà la première fois qu’on a donné ce nom à la vanité, et les raisonnements entortillés de ce dialogue ne prouveront jamais cette nouvelle morale.

Autre fausseté : « Qui veut peindre pour l’immortalité doit peindre des sots[6]. » Les grands poëtes et les grands historiens n’ont point peint des sots. Molière même, que l’on fait parler ici, n’aurait point peint pour la postérité s’il n’avait mis que la sottise sur le théâtre.

Mais ce que je trouve de plus faux que tout cela, c’est la duchesse de Valentinois[7] se comparant à César parce qu’elle a été aimée étant vieille.

  1. Nouveaux Dialogues des morts anciens, VI. Brutus, Faustine.
  2. Nouveaux Dialogues des morts anciens avec des modernes, I. Sénèque, Scarron.
  3. Nouveaux Dialogues des morts anciens avec des modernes, II. Artémise, Raimond Lulle.
  4. Ibid., III. Apicius, Galilée.
  5. Nouveaux Dialogues des morts modernes, I. Soliman, Juliette de Gonzague.
  6. Ibid., II. Paracelse, Molière.
  7. Ibid., V. La duchesse de Valentinois, Anne de Boulen.