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GRANDEUR DE DIEU.

Voici un morceau de la Henriade qui me paraît un pendant pour les vers de Racine.

C’est après une description philosophique des cieux, qui n’est que de mon sujet (ch. VII, 61-65) :

Au delà de leur cours, et loin dans cet espace,
Où la matière nage, et que Dieu seul embrasse,
Sont des soleils sans nombre et des mondes sans fin.
Dans cet abîme immense il leur ouvre un chemin.
Par delà tous ces cieux le dieu des cieux réside.

Cette description étonne plus l’imagination, et parle moins au cœur. J’en trouve encore une dans le dixième chant de la Henriade (421-36) :

Au milieu des clartés d’un feu pur et durable
Dieu mit, avant les temps, son trône inébranlable
Le ciel est sous ses pieds : de mille astres divers
Le cours toujours réglé l’annonce à l’univers.
La puissance, l’amour, avec l’intelligence,
Unis et divisés, composent son essence.
Ses saints, dans les douceurs d’une éternelle paix,
D’un torrent de plaisirs enivrés à jamais.
Pénétrés de sa gloire, et remplis de lui-même,
Adorent à l’envi sa majesté suprême.
Devant lui sont ces dieux, ces brûlants séraphins,
À qui de l’univers il commet les destins.
Il parle, et de la terre ils vont changer la face ;
Des puissances du siècle ils retranchent la race ;
Tandis que les humains, vils jouets de l’erreur.
Des conseils éternels accusent la hauteur.

Je n’aime pas cet hémistiche, de mille astres divers. Ce mot de mille est lui terme oiseux, aussi bien que celui de divers, qui n’est guère à la fin du vers que pour rimer ; mais les deux vers de la Trinité sont une chose admirable et unique.

Un fils du grand Racine, qui a hérité d’une partie des talents de son père, a donné encore dans son poëme sur la Grâce une très-belle idée de la grandeur de Dieu (ch. IV, 75-91) :

Ce dieu d’un seul regard confond toute grandeur.
Des astres devant lui s’éclipse la splendeur.
Prosterné près du trône où sa gloire étincelle,
Le chérubin tremblant se couvre de son aile.