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LANGAGE.

Ce terme du barreau n’est point admis dans la poésie noble.

Faites un peu de force à votre impatience[1].

Calmez, modérez votre impatience ; mettez un frein à votre impatience, voilà le mot propre. Faire force est barbare.

...Non pas, César, non pas à Rome encor[2] :
Il faut que ta défaite et que tes funérailles
À cette cendre aimée en ouvrent les murailles ;
Et, quoiqu’elle la tienne aussi chère que moi…

Cette elle tombe sur Rome, et semble tomber sur la cendre de Pompée par la construction de la phrase. Aussi chère que moi, on ne sait si c’est Cornélie qui est aussi chère, ou si c’est à elle que cette cendre est aussi chère. Ces amphibologies jettent une obscurité désagréable dans le style. Je n’ai relevé que celle-ci pour n’être pas trop long ; mais la tragédie que j’examine est pleine de ces obscurités. C’est un défaut qu’il faut éviter avec soin.

Et quand tout mon effort se trouvera rompu[3].

On rompt un projet, une ligue, des liens, une assemblée ; on arrête un effort, on s’y oppose, on le surmonte, on le rend inutile, etc.

J’ai vu le désespoir qu’il a voulu choisir[4].

On entre dans le désespoir, on s’abandonne, on se livre au désespoir ; on ne le choisit pas.

Il est de la fatalité[5]
Que l’aigreur soit mêlée à la félicité.

On dit bien notre destin, la fatalité ordonne, etc., mais on ne dit pas il est de la fatalité, comme on dit il est d’usage ; l’aigreur est un terme très-impropre ; et l’amertume s’oppose à la douceur, et non à la félicité.

Je me suis arrêté, dans cet examen, uniquement aux fautes de langage, et je n’ai pas parlé des vices du style, dont le nombre est prodigieux. Cette discussion n’était pas de mon sujet, non

  1. Acte V, scène iv, 33.
  2. Ibid., 36.
  3. Ibid. vers 79.
  4. Acte V, scène v, vers 18.
  5. Ibid., 33.