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SATIRE.

aux dépens de l’Astrate de Quinault : deux pièces assez médiocres qui ne sont pas sans quelques beautés. Il dit (sat. III, 185-88) :

Je ne sais pas pourquoi l’on vante l’Alexandre ;
Ce n’est qu’un glorieux qui ne dit rien de tendre.
Les héros, chez Quinault, parlent bien autrement,
Et, jusqu’à Je vous hais, tout s’y dit tendrement.

Il n’y a rien de plus contraire à la vérité que ce jugement de Boileau. L’Alexandre de Racine est très-loin d’être si glorieux. C’est, au contraire, un doucereux qui prétend n’avoir porté la guerre aux Indes que pour y adorer Cléophile ; et si on peut appliquer à quelque pièce de théâtre ce vers : Et jusqu’à Je vous hais, tout s’y dit tendrement, c’est assurément à l’Andromaque de Racine, dans laquelle Pyrrhus idolâtre Andromaque en lui disant des choses très-dures ; mais loin que ce soit un défaut, dans la peinture d’une passion, de dire tendrement Je vous hais, c’est au contraire une très-grande beauté. Rien ne caractérise si bien l’amour que les mouvements violents d’un cœur qui croit être parvenu à concevoir de la haine pour un objet qu’il aime avec fureur ; et c’est en quoi Quinault a souvent réussi ; comme quand il fait dire à Armide (acte I, sc. I) : « Que je le hais, que son mépris m’outrage ! » Ce tour même est si naturel qu’il est devenu très-commun.

Boileau n’est guère moins condamnable dans la licence qu’il prenait de nommer un citoyen, auquel il en substituait souvent un autre dans une nouvelle édition.

Par exemple, le sieur Brossette nous apprend que Boileau avait parlé ainsi d’un nommé Pelletier (sat. I, 77-78) :

Tandis que Pelletier, crotté jusqu’à l’échine,
S’en va chercher son pain de cuisine en cuisine.

On lui dit que ce Pelletier n’était rien moins qu’un parasite, que c’était un honnête homme très-retiré, qui n’allait jamais manger chez personne. Boileau le raya de la satire ; mais au lieu d’ôter ces vers, qui sont du style le plus bas, il les laissa, et mit Colletet à la place de Pelletier, et par là outragea deux hommes au lieu d’un. Il paraît que très-souvent il plaçait ainsi les noms au hasard, et l’on doit lire ses satires avec circonspection[1].

  1. L’édition in-12 de Kehl et quelques réimpressions donnent ce dernier membre de phrase. Dans les éditions de 1749, 1750, et in-8° de Kehl, on lit : « au