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DES MENSONGES IMPRIMÉS.

et ensuite il critiqua ces mêmes vers qu’il avait faits. J’ai soigneusement conservé une lettre que m’écrivit un jour un auteur[1] de cette trempe. « Monsieur, j’ai fait imprimer un libelle contre vous ; il y en a quatre cents exemplaires ; si vous voulez m’envoyer quatre cents livres, je vous remettrai tous les exemplaires fidèlement. » Je lui mandai que je me donnerais bien de garde d’abuser de sa bonté ; que ce serait un marché trop désavantageux pour lui, et que le débit de son livre lui vaudrait beaucoup davantage ; je n’eus pas lieu de me repentir de ma générosité.

XX. Il est bon d’encourager les gens de lettres inconnus qui ne savent où donner de la tête. Une des plus charitables actions qu’on puisse faire en leur faveur est de donner une tragédie au public. Tout aussitôt vous voyez éclore des Lettres à des dames de qualité ; Critique impartiale de la pièce nouvelle ; Lettre d’un ami à un ami ; Examen réfléchi ; Examen par scènes[2] ; et tout cela ne laisse pas de se vendre.

XXI. Mais le plus sûr secret pour un honnête libraire, c’est d’avoir soin de mettre à la fin des ouvrages qu’il imprime toutes les horreurs et toutes les bêtises qu’on a imprimées contre l’auteur. Rien n’est plus propre à piquer la curiosité du lecteur et à favoriser le débit. Je me souviens que parmi les détestables éditions qu’on a faites, en Hollande, de mes prétendus ouvrages, un éditeur habile d’Amsterdam, voulant faire tomber une édition de la Haye, s’avisa d’ajouter à la sienne un recueil de tout ce qu’il avait pu ramasser contre moi[3]. Les premiers mots de ce recueil disaient que j’étais un chien rogneux. Je trouvai ce livre à Magdebourg[4] entre les mains du maître de la poste, qui ne cessait de me dire combien il trouvait ce petit morceau éloquent. En dernier lieu, deux libraires d’Amsterdam, pleins de probité, après avoir défiguré tant qu’ils avaient pu la Henriade et mes autres pièces, me firent l’honneur de m’écrire que, si je permettais qu’on fît à Dresde[5] une meilleure édition de mes ouvrages, qu’on avait entre-

  1. La Jonchère ; voyez page 58, et, plus loin, la vingt et unième des Honnêtetés littéraires.
  2. Ce dernier titre désigne la Critique, scène par scène, sur Sémiramis, tragédie nouvelle de M. de Voltaire, 1748, in-8° de 29 pages.
  3. Une édition des Œuvres de Voltaire contient la Voltairomanie, libelle dont il est parlé tome XXII, page 371 ; et dans ce volume, pages 47 et 59.
  4. C’était en 1743. Voltaire allait à Berlin, chargé d’une mission secrète.
  5. L’édition des Œuvres de Voltaire, publiée à Dresde, chez Walther, a dix volumes in-8°. Les huit premiers sont de 1748 ; le neuvième, de 1750 ; le dixième, de 1754. Une autre édition, publiée chez le même, en 1752, est en sept volumes. (B.)