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ET UN CONTRÔLEUR GÉNÉRAL.

Un impôt arbitraire est vicieux. Il n’y a que l’aumône qui puisse être arbitraire ; mais dans un État bien policé il ne doit pas y avoir lieu à l’aumône. Le grand Sha-Abbas, en faisant en Perse tant d’établissements utiles, ne fonda point d’hôpitaux. On lui en demanda la raison. « Je ne veux pas, dit-il, qu’on ait besoin « d’hôpitaux en Perse. »

Qu’est-ce qu’un impôt ? c’est une certaine quantité de blé, de bestiaux, de denrées, que les possesseurs des terres doivent à ceux qui n’en ont point. L’argent n’est que la représentation de ces denrées. L’impôt n’est donc réellement que sur les riches ; vous ne pouvez pas demander au pauvre une partie du pain qu’il gagne, et du lait que les mamelles de sa femme donnent à ses enfants. Ce n’est pas sur le pauvre, sur le manœuvre, qu’il faut imposer une taxe ; il faut, en le faisant travailler, lui faire espérer d’être un jour assez heureux pour payer des taxes.

Pendant la guerre, je suppose qu’on paye cinquante millions de plus par an ; de ces cinquante millions il en passe vingt dans le pays étranger ; trente sont employés à faire massacrer des hommes. Je suppose que, pendant la paix, de ces cinquante millions on en paye vingt-cinq ; rien ne passe alors chez l’étranger : on fait travailler pour le bien public autant de citoyens qu’on en égorgeait. On augmente les travaux en tout genre ; on cultive les campagnes ; on embellit les villes : donc on est réellement riche en payant l’État. Les impôts, pendant la calamité de la guerre, ne doivent pas servir à nous procurer les commodités de la vie ; ils doivent servir à la défendre. Le peuple le plus heureux doit être celui qui paye le plus ; c’est incontestablement le plus laborieux et le plus riche.

Le papier public est à l’argent ce que l’argent est aux denrées : une représentation, un gage d’échange. L’argent n’est utile que parce qu’il est plus aisé de payer un mouton avec un louis d’or que de donner pour un mouton quatre paires de bas. Il est de même plus aisé à un receveur de province d’envoyer au trésor royal quatre cent mille francs dans une lettre que de les faire voiturer à grands frais : donc une banque, un papier de crédit est utile. Un papier de crédit est dans le gouvernement d’un État, dans le commerce et dans la circulation, ce que les cabestans sont dans les carrières. Ils enlèvent des fardeaux que les hommes n’auraient pas pu remuer à bras. Un Écossais[1], homme utile et dangereux, établit en France le papier de crédit : c’était un mé-

  1. Lass. Voyez, tome XV, le chapitre ii du Précis du Siècle de Louis XV.