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EXTRAIT

la nature un but et des moyens : moyens uniformes dans les êtres de même espèce ; moyens variés dans les autres genres ; moyens infinis dans l’étendue immense des choses.

On est étonné qu’un philosophe comme l’auteur se serve du terme de hasard[1], que la saine philosophie a proscrit il y a longtemps.

On n’est pas moins surpris qu’il cherche à avilir cette divine industrie, qui préside à la formation des insectes. « Tout cela, dit-il, aboutit à produire un insecte incommode, que le premier oiseau dévore, ou qui tombe dans les filets d’une araignée[2]. » Il n’a pas pensé que ces animaux, destinés en partie à la pâture des autres, sont certainement un moyen de conserver l’espèce qui s’en nourrit ; un moyen qui prouve un choix, qui par conséquent annonce la puissante intelligence qui a fait ce choix ; et ce moyen ne peut être l’effet du hasard, le hasard n’étant qu’un mot vide de sens.

L’auteur, après avoir plaint les mouches d’être mangées par les araignées, plaint ensuite les hommes de ce que les « mers couvrent la moitié de la terre, et qu’on y voit des rochers escarpés[3] etc. ». Il aurait dû se souvenir qu’il est démontré que ces mers servent à fournir toute l’eau qui s’en évapore, et qui retombe ensuite sur cette chaîne de rochers, réservoirs perpétuels de toutes les sources de rivières qui arrosent et fertilisent la terre. « Examinez, dit-il ensuite, les mœurs de ceux qui l’habitent ; vous trouverez le mensonge, le meurtre, le vol, et partout les vices plus communs que la vertu[4]. »

Cette ancienne objection tant rebattue n’a pas tant de force que plusieurs personnes l’ont cru. Il est très-faux qu’il soit plus commun d’être volé et assassiné que de jouir en liberté de son bien et de sa vie. Parcourez mille villages, vous ne trouverez pas dix meurtres et dix vols dans un siècle. Il ne se commet pas à Londres, à Rome, à Constantinople, à Paris, dix meurtres par an. Il y a des années où il ne s’en commet point du tout. Les guerres sont ce qu’il y a de plus fatal après les grandes pestes ; mais sur cent millions d’habitants au moins, dont l’Europe est peuplée, la guerre ne fait pas périr en un siècle, parmi les mâles, la trentième partie des cent millions, qui chaque année se renouvellent. Quand on examine ces lieux communs avec des yeux attentifs,

  1. Œuvres de Maupertuis, page 5.
  2. Ibid.
  3. Ibid., page 9.
  4. Ibid.