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HISTOIRE

serait trop difficile à faire. Les ouvriers de la tour de Babel sont morts. Aucun souverain ne veut se charger de notre trou, parce que l’ouverture serait un peu trop grande et qu’il faudrait excaver au moins toute l’Allemagne, ce qui porterait un notable préjudice à la balance de l’Europe. Ainsi nous laisserons la face du monde telle qu’elle est ; nous nous défierons de nous-même toutes les fois que nous voudrons creuser, et nous nous arrêterons constamment à la superficie des choses.

12o Nous reconnaissons qu’il est un peu plus difficile de prédire l’avenir que de savoir lire Tite-Live ou Thucydide. Nous réglerons notre âme, et nous ne l’exalterons plus ; nous avouons que nous n’avons pas encore le don de prophétie, quoique nous y ayons beaucoup de disposition, si la perspicacité peut servir à prédire ; et quand nous avons dit que c’est la même chose de savoir l’avenir et le passé, nous avons seulement donné à entendre que nous ne savons ni l’un ni l’autre.

13o Nous trouvons toujours bon qu’on vive huit à neuf cents ans, en se bouchant les pores et les conduits de la respiration ; mais nous ne ferons cette expérience sur personne, de peur que le patient ne parvienne tout d’un coup à l’âge de la maturité, qui est la mort.

14o Nous nous engageons à ne plus écrire tristement sur le bonheur, laissant d’ailleurs à chacun la liberté que nous avons déjà accordée de se tuer, ou d’être chrétien, etc.

15o Nous ne rabaisserons plus tant les Allemands, et nous avouerons que les Copernic, les Kepler, les Leibnitz, les Wolf, les Haller, les Gotsched, sont quelque chose, et que nous avons étudié sous les Bernouilli, et nous étudierons encore ; et qu’enfin M.  le professeur Euler, qui a bien voulu nous servir de lieutenant, est un très-grand géomètre qui a soutenu notre principe par des formules auxquelles nous n’avons rien pu comprendre, mais que ceux qui les entendent nous ont assuré être pleines de génie, comme tous les autres ouvrages dudit professeur, notre lieutenant.

16o Et, comme nous avons à cœur de faire une paix stable et perpétuelle, nous promettons solennellement de faire notre possible pour ne plus violer, soit dans nos raisonnements, soit dans nos actions, les trois grands principes de la philosophie germanique, à savoir les principes de contradiction, de raison suffisante, et de continuité ; en conséquence de cet engagement, nous ne nous permettrons plus les contradictions[1] dans nos écrits, et

  1. Je m’affranchis d’une gêne à laquelle je n’aurais pu me soumettre ; je ne suivrai aucun ordre, je parcourrai les sujets comme ils se présenteront à mon