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DU DOCTEUR AKAKIA.

— L’Académie ayant entendu avec admiration le présent traité, elle a applaudi à tous ses articles, et en a garanti l’exécution : et afin que les fruits de cette heureuse réunion se fissent sentir par toute l’Europe, elle a voulu qu’il fût stipulé que tous les gens de lettres vivraient désormais en frères, à compter du jour où toutes les femmes qui prétendent à la beauté seraient sans jalousie.

Le tout ayant été ratifié convenablement, on devait chanter un Te Deum, mis en musique par un Français, et exécuté par des Italiens : et célébrer une grand’messe où un jésuite officierait, ayant un calviniste pour diacre et un janséniste pour sous-diacre ; et la paix eût été générale dans toute la chrétienté.

— Qui aurait cru qu’un projet de paix si raisonnable n’eût pas été accepté par M. le président ? Mais sur le point de signer et d’en remplir tous les articles, sa mélancolie et sa philocratie redoublèrent avec des symptômes violents. Il s’emporta contre son bon médecin Akakia, qui était alors malade[1] lui-même dans la cité de Leipsick en Germanie, et il lui écrivit une lettre fulminante, par laquelle il le menaçait de venir le tuer.

LETTRE DE M. LE PRÉSIDENT À SON MÉDECIN AKAKIA[2].

Je vous déclare que ma santé est assez bonne pour vous venir trouver partout où vous serez, pour tirer de vous la vengeance la plus complète. Rendez grâce au respect et à l’obéissance qui ont jusqu’ici retenu mon bras. Tremblez.

Signé : Maupertuis[3].

  1. Voyez, dans la Correspondance, la lettre de Voltaire à M. Roques, d’avril 1753.
  2. Il parut en 1753 : l’Art de bien argumenter en philosophie, réduit en pratique par un vieux capitaine de cavalerie travesti en philosophe, in-8o de huit pages, ayant pour épigraphe ces deux mots d’Ovide : Spectemur agendo, et ne contenant autre chose que la petite Lettre de M. de Maupertuis, et la Réponse de M. de Voltaire (qu’on trouve page 583, sous le titre de Lettre du docteur Akakia), précédées d’un Avertissement ainsi conçu : « Le public peut compter sur l’authenticité de ces lettres ; on est en état d’en produire les originaux. » Ce qu’on lit ici entre les deux lettres fut ajouté lors de l’impression de l’Histoire du docteur Akakia. (B.)
  3. Dans le tome III de la Nouvelle Bigarrure, mai 1753, on reproduisit l’Art de bien argumenter, c’est-à-dire le billet du président et la réponse d’Akakia, qui le composaient ; mais on mit à la suite la lettre entière de Maupertuis, datée du 3 avril 1753, et dans laquelle sont tous les mots transcrits par Voltaire, sauf cependant le dernier (tremblez). (B.)