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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome23.djvu/65

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MÉMOIRE SUR LA SATIRE.

et qui cherchait à laver cette tache, ne devait jamais se permettre la moindre raillerie contre personne. Et cependant qu’a-t-il fait pendant trente années de bannissement ? de nouvelles satires, auxquelles il ne manque que d’être bien écrites pour être aussi odieuses que les premières.

Je ne dissimule point qu’étant outragé par lui, comme tant d’autres, j’ai perdu patience ; et que surtout, dans une pièce contre la calomnie[1], j’ai marqué toute mon indignation contre le calomniateur. J’ai cru être en droit de venger et mes injures et celles de tant d’honnêtes gens. J’aurais mieux fait peut-être d’abandonner au mépris et à l’horreur du public les crimes que j’ai attaqués ; mais enfin, si c’est une faute d’écrire contre le perturbateur du repos public, c’est une faute bien excusable ; c’est, j’ose le dire, celle d’un citoyen.

Ce fut alors que les journaux destinés à l’honneur des lettres devinrent le théâtre de l’infamie. L’homme dont je parle, et dont je voudrais supprimer ici absolument le nom pour ne me plaindre que du crime, et non du criminel, osa faire imprimer dans la Bibliothèque française, en 1736, un tissu de calomnies[2]. Il osait alléguer, entre autres raisons de sa conduite envers moi, qu’autrefois, en passant par Bruxelles, j’avais voulu le perdre dans l’esprit de M. le duc d’Aremberg, son protecteur. Quel a été le fruit de cette imposture ? M. le duc d’Aremberg en est instruit : il me fait aussitôt l’honneur de m’écrire[3] pour désavouer cette calomnie ; il chasse de sa maison celui qui en est l’auteur. On publie la lettre de ce prince ; le calomniateur est confondu, et enfin les auteurs du journal de la Bibliothèque française me font des excuses publiques[4].

Je ne me résous à rapporter ce qui va suivre que comme un exemple fatal de cette opiniâtreté malheureuse qui porte l’iniquité jusqu’au tombeau. Ce même homme prend enfin le parti de vouloir couvrir tant de fautes et de disgrâces du voile de la religion ; il écrit des Épîtres morales et chrétiennes[5] (ce n’est pas ici le

  1. Voyez, tome X, l’épître à Mme du Châtelet, sur la calomnie, 1733.
  2. C’est la lettre de J.-B. Rousseau, du 22 mai 1730. Elle est au tome XXIII de la Bibliothèque française, pages 138-154 ; voyez aussi ibid., 254.
  3. Le billet du duc d’Aremberg est rapporté dans le Mémoire qui précède, page 43, et dans la lettre de Voltaire aux auteurs de la Bibliothèque française du 20 septembre 1736 ; voyez la Correspondance.
  4. Tome XXIV de la Bibliothèque française, page 380. Ce sont des conseils autant que des excuses.
  5. Ce sont les trois Épîtres nouvelles, qui sont le sujet de l’Utile Examen, imprimé dans le tome XXII, page 233.