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MÉMOIRE SUR LA SATIRE.

années ; et pour éterniser notre honte, on en a imprimé deux recueils, l’un en quatre, et l’autre en cinq volumes[1] : monuments infâmes de méchanceté et de mauvais goût, dans lesquels, depuis les princes jusqu’aux artisans, tout est immolé à la médisance la plus atroce et la plus basse, et à la plus plate plaisanterie. Il est triste pour la France, si féconde en écrivains excellents, qu’elle soit le seul pays qui produise de pareils recueils d’ordures et de bagatelles infâmes.

Les pays qui ont porté les Copernic, les Tycho-Brahé, les Otto-Guericke, les Leibnitz, les Bernouilli, les Wolf, les Huygens ; ces pays où la poudre, les télescopes, l’imprimerie, les machines pneumatiques, les pendules, etc., ont été inventés ; ces pays que quelques-uns de nos petits-maîtres ont osé mépriser, parce qu’on n’y faisait pas la révérence si bien que chez nous ; ces pays, dis-je, n’ont rien qui ressemble à ces recueils, soit de chansons infâmes, soit de calottes, etc. Vous n’en trouvez pas un seul en Angleterre, malgré la liberté et la licence qui y règnent. Vous n’en trouverez pas même en Italie, malgré le goût des Italiens pour les pasquinades.

Je fais exprès cette remarque, afin de faire rougir ceux de nos compatriotes qui, pouvant faire mieux, déshonorent notre nation par des ouvrages si malheureusement faciles à faire, auxquels la malignité humaine assure toujours un prompt débit, mais qu’enfin la raison, qui prend toujours le dessus, et qui domine dans la saine partie des Français, condamne ensuite à un mépris éternel.

DES CALOMNIES CONTRE LES ÉCRIVAINS DE RÉPUTATION.

Il s’est glissé dans la république des lettres une peste cent fois plus dangereuse : c’est la calomnie, qui va effrontément, sous le nom de justice et de religion, soulever les puissances et le public contre des philosophes, contre les plus paisibles des hommes, incapables de ne jamais nuire, par cela même qu’ils sont philosophes.

J’ai entendu demander souvent : Pourquoi Charron a-t-il été

  1. L’édition de 1752 des Mémoires pour servir à l’histoire de la calotte, postérieure au Mémoire sur la Satire, est même en six parties. Voltaire n’y est pas ménagé. Voyez l’Avertissement de Beuchot en tête des Lettres philosophiques, tome XXII, page 82 ; l’édition intitulée Recueil des pièces du régiment de la calotte, Paris (Hollande), 7726 (1726), contient, page 261, une pièce contre Camusat, qu’on donne comme étant de Voltaire, et qui n’est pas dans l’édition de 1752.