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MÉMOIRE SUR LA SATIRE.

Il est dit dans ce libelle, en termes exprès, que je suis un voleur, un brutal, un enragé, un athée, le petit-fils d’un paysan, etc.

Or je soutiens qu’un homme de lettres, quelque méchant qu’il puisse être, ne peut vomir de pareilles injures : celles de voleur, d’enragé, d’athée, de brutal, sont des termes horribles, mais vagues, qui ne peuvent souiller la plume d’un homme auquel il resterait la moindre pudeur et la moindre étincelle d’esprit.

Il est encore bien peu probable qu’un écrivain reproche à un autre écrivain sa naissance. L’auteur de la Henriade doit peu s’embarrasser quel a été son grand-père[1]. Uniquement occupé de l’étude, je ne cherche point la gloire de la naissance. Content, comme Horace[2], de mes parents, je n’en ai jamais demandé d’autres au ciel ; et je ne réfuterais point ici ce vain mensonge, si je n’avais parmi mes proches parents des magistrats et des officiers généraux qui s’intéresseront peut-être davantage à l’honneur d’une famille outragée. Pour moi, je sens qu’un tel reproche, s’il était vrai, ne pourrait jamais m’affliger. Je me suis consacré à l’étude dès ma jeunesse ; j’ai refusé la charge d’avocat du roi à Paris, que ma famille, qui a exercé longtemps des charges de judicature en province, voulait m’acheter. En un mot, l’étude fait tous mes titres, tous mes honneurs, toute mon ambition.

Voici des preuves encore plus fortes que cet infâme écrit ne peut être de l’homme à qui tout Paris l’impute.

On ose avancer dans ce libelle que ce service signalé qu’avait rendu si publiquement autrefois le sieur de Voltaire au sieur Desfontaines, il ne l’avait rendu que pour obéir à M. le président de Bernières, son patron, qui le nourrissait et le logeait par bonté, et que par conséquent le sieur Desfontaines n’avait aucune obligation au sieur de Voltaire.

Premièrement, comment se pourrait-il faire qu’un homme de bon sens raisonnât ainsi ? Quoi ! il serait permis d’insulter son bienfaiteur, parce qu’il aurait été logé et nourri chez un autre ? est-ce là la logique de l’ingratitude ? En second lieu, l’abbé Desfontaines ne savait-il pas que j’ai longtemps loué chez M. de Bernières un appartement assez connu ? Faut-il lui apprendre que j’ai en main l’acte fait double, du 4 de mai 1723, par lequel je payais 1,800 livres de pension pour moi et pour un de mes amis[3] ? Faudrait-il enfin dire ici que le chef de la justice et plusieurs autres

  1. Ce qui suit est dans le Mémoire, page 34.
  2. Meis contentus, Horace, livre Ier, satire vi, vers 96,
  3. Tout ceci est en d’autres termes dans le Mémoire, page 38.