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104 RELATION DE LA MALADIE, ETC.

« à la Colère. — Adressez-vous à d'autres; je suis passagère, j'entre « dans tous les cœurs, mais je n'y demeure pas; mes sœurs « prennent bientôt la place! » Je me tournai alors vers la Gour- mandise, qui était à table. « Pour vous, madame, lui dis-je, je (( sais bien, grâce à notre frère cuisinier, que ce n'est pas vous « qui perdez nos âmes, » Elle avait la bouche pleine, et ne put me répondre ; mais elle me fit signe, en branlant la tête, que nous n'étions pas dignes d'elle.

« La Paresse reposait sur un canapé, à moitié endormie; je ne voulus pas l'éveiller : je me doutais bien de laversion qu'elle a pour des gens qui, comme nous, courent par tout le monde,

« J'aperçus l'Envie, dans un coin, qui rongeait les cœurs de trois ou quatre poètes, de quelques prédicateurs et de cent fai- seurs de brochures. « Vous avez bien la mine, lui dis-je, d'avoir « grande part à nos péchés, — Ah! dit-elle, mon révérend père, u vous êtes trop bon ; comment des gens qui ont si bonne opinion u d'eux-mêmes pourraient-ils avoir recours à une pauvre malheu- <( reuse comme moi, qui n'ai que la peau sur les os? Adressez- « vous à monsieur mon père, »

« En effet, son père était auprès d'elle dans une chaise à bras, vêtu d'un habit fourré d'hermine, la tête haute, le regard dédai- gneux, les joues rouges, pleines et pendantes ; je reconnus l'Or- gueil 1 : je me prosternai ; c'était le seul être à qui je pusse rendre ce devoir, « Pardon, mon père, lui dis-je, si je ne me suis pas (( d'abord adressé à vous ; je vous ai toujours eu dans mon cœur : « oui, c'est vous qui nous gouvernez tous. Le plus ridicule écrivain, « fût-ce l'auteur de l'Année littéraire, est inspiré par vous; ô magni- « fique diable! c'est vous qui régnez sur le mandarin et sur le col- « porteur, sur le grand-lama et sur le capucin, sur la sultane et sur « la bourgeoise ; mais nos pères sont vos premiers favoris : votre « divinité éclate en nous à travers les voiles de la politique ; j'ai (i toujours été le plus fier de vos disciples, et je sens même que je « vous aime encore. » Il répondit à mon hymne par un sourire de protection, et aussitôt je fus traduit en purgatoire. »

Ici finit la vision de frère Garassise ; il renonça au Journal de Trévoux, passa à Lisbonne, où il eut de longues conférences avec frère Malagrida, et ensuite alla au Paraguai -.

��1, Voyez tome XL\, page 500.

2. Les premières éditions, ne contenant pas la Helalion du voijaue de frère Garassise, (jui suit, se terminaient par ces mots : « On donnera incessamment au public la relation de ces deux voyages du frère Garassise. » (B.)

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