Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/147

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Vous vous êtes scandalisé de ce que je pensais à l’intérêt ; mais vous cesserez bientôt de l’être lorsque vous saurez que j’applique cet argent h de bonnes œuvres, et que je destine cette pension à l’entretien d’un pauvre homme auquel je m’intéresse très-particulièrement. Ne vous étonnez donc pas si je vous demande qu’elle soit payée régulièrement, et même d’avance si cela se peut.

LE PRÊTRE,

Je vous le promets, et l’usage que vous faites de cet argent vous rend toute mon estime ; mais n’avez-vous jamais lu ce livre dont je ne saurais prononcer le nom sans frémir? Je ne l’ai pas vu, mais on dit qu’au mot vie, l’article de vie heureuse fait dresser les cheveux. Tolère-t-on cet ouvrage de Satan dans le pays où vous vivez ?

LE MINISTRE.

J’en ai lu quelque chose, et en effet ce livre est plein de blasphèmes et d’impiétés. Le mot vie que vous citez n’est pas encore fait ! ; mais sans doute qu’il serait affreux s’il était imprimé.

On a souffert cet ouvrage dans ma patrie, quoique j’aie bien fait quelques tentatives pour en faire saisir une cinquantaine d’exemplaires qui y sont répandus, et que je voulais faire confisquer au profit des ecclésiastiques, parce qu’ils sont à l’abri de la contagion, et que, Payant entre leurs mains, ils f auraient mieux réfuté. La chose a souffert quelques difficultés ; et, pour diminuer au moins la grandeur du mal, j’en ai emprunté sous main quelques exemplaires que je n’ai point rendus : j’ai imaginé, pour les retrancher de la société, de les envoyer en Espagne, où je les ai fait payer le double de leur valeur aux libertins qui les ont achetés ; après quoi j’en ai donné avis au grand inquisiteur, qui a fait saisir et brûler les exemplaires, mettre à l’Inquisition les gens qui en étaient possesseurs, et qui m’a envoyé cent pistoles d’or pour le service que j’ai rendu à la religion.

LE PRÊTRE.

Il y a bien quelque chose à dire contre la délicatesse dans ce que vous racontez là ; mais la fin de l’action en sanctifie les moyens, et je vous absous pour toutes celles de la même nature passées, présentes, et à venir.

1. On a vu par la note 1 de la page 132 qu’en 1760 il n’avait paru que sept volumes, qui n’embrassaient que les sept premières lettres de l’alphabet. Voyez, dans la lettre à d’Alembert, du 19 octobre 17(34, ce que Voltaire rappelle du réquisitoire de Joly de Fleury.