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DE L'EUROPE. 197

avec beaucoup d'intelligence; les comédiens jouent une scène devant lui, il en dit fort bien son avis. Et ensuite, quand il est seul, il déclare qu'il n'est pas si fou qu'il le paraît. « Quoi, dit-il, un comédien vient de pleurer pour Ilécube ! Et qu'est-ce que lui est Hécube? Que ferait-il donc si son oncle et sa mère avaient empoi- sonné son père, comme Claudius et Gertrude ont empoisonné le mien? Ah! maudit empoisonneur, assassin, putassier! traître, débauché, indigne vilain! Et moi, quel àne je suis! Nest-il pas vraiment brave à moi, moi le fils d'un roi empoisonné, moi à qui le ciel et l'enfer demandent vengeance, de me borner à exhaler ma douleur en paroles comme une putain ? que je m'en tienne à des malédictions comme une vraie salope, comme une gueuse, un torchon de cuisine ! »

Il prend alors la résolution de se servir de ces comédiens pour découvrir si en effet son oncle et sa mère ont empoisonné son père : « Car après tout, dit-il , le fantôme a pu me tromper; c'est peut-être le diable qui m'a parlé ; il faut s'éclaircir. » Hamlet pro- pose donc aux comédiens de jouer une pantomime dans laquelle un homme dormira, et un autre lui versera du poison dans l'oreille. Il est bien sûr que si le roi Claudius est coupable, il sera fort étonné en voyant la pantomime ; il pâlira, son crime sera sur son visage. Hamlet sera convaincu du crime, et aura le droit de se venger.

Ainsi dit, ainsi fait. La troupe vient jouer cette scène muette devant le roi, la reine et toute la cour. Et après la scène muette, il y en a une autre en vers. Le roi et la reine trouvent ces deux scènes fort impertinentes. Ils soupçonnent Hamlet d'avoir fait la pièce, et de n'être pas tout à fait aussi fou qu'il le paraît -.cette idée les met dans une grande perplexité ; ils tremblent d'être découverts. Quel parti prendre? Le roi Claudius se résout à envoyer Hamlet en Angleterre pour le guérir de sa folie, et écrit au roi d'Angleterre, son bon ami, pour le prier de faire pendre le jeune voyageur sitôt la présente reçue.

Mais, avant de faire partir Hamlet, la reine est bien aise de l'interroger, de le sonder ; et de peur qu'il ne fasse quelque folie dangereuse, le vieux chambellan Polonius se cache derrière une tapisserie, prêt^ à venir au secours en cas de besoin.

Le prince fou, ou prétendu fou, vient parler à Gertrude sa mère. Chemin faisant, il rencontre dans un coin le roi Claudius, à qui il a pris un petit remords; il craint d'être un jour damné

1. Voyez la note 1, tome XIV, page 418.

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