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226 PARALLÈLE D'HORACE,

'ï Les lecteurs pourront demander si c'est Pope ou un de ses porteurs de chaise qui a fait ces vers. Ce n'est pas là absolument le style de Despréaux. Ne conclura-t-on pas de ce petit écrit que la politesse d'une nation n'est pas la politesse d'une autre?

Pour mieux faire sentir encore, s'il se peut, cette différence que la nature et l'art mettent souvent entre des nations voisines, jetons les yeux sur une traduction fidèle d'un des plus délicats passages de la Dunciade de Pope; c'est au chant second. La Bêtise a proposé des prix pour celui de ses favoris qui sera vainqueur à la course. Deux libraires de Londres disputent le prix : l'un est Lintot, personnage un peu pesant ; l'autre est Curl, homme plus délié. Ils courent, et voici ce qui arrive :

Au milieu du chemin on trouve un bourbier

Que madame Curl avait produit le matin :

C'était sa coutume de se défaire, au lever de l'aurore,

Du marc de son souper, devant la porte de sa voisine.

Le malheureux Curl glisse ; la troupe pousse un grand cri ;

Le nom de Lintot résonne dans toute la rue ;

Le mécréant Curl est couché dans la vilainie,

Couvert de l'ordure qu'il a lui-même fournie, etc.

Le portrait de la Mollesse, dans le Lutrin, est d'un autre genre; mais chaque nation a son goût.

Une autre conclusion que nous oserons tirer encore de la comparaison des petits poëmes détachés, avec les grands poëmes, tels que l'épopée et la tragédie, c'est qu'il faut les mettre à leur place. Je ne vois pas comment on peut égaler une épitre, une ode, à une bonne pièce de théâtre. Qu'une épître, ou ce qui est plus aisé à faire, une satire, ou ce qui est souvent assez insipide, une ode, soit aussi bien écrite qu'une tragédie, il y a cent fois plus de mérite à faire celle-ci, et plus de plaisir à la voir, que non pas à faire et h lire des lieux communs de morale: je dis lieux communs, car tout a été dit. Une bonne épitre morale ne nous apprend rien ; une bonne ode encore moins, elle peut tout au plus amuser un quart d'heure les gens du métier. Mais créer un sujet; inventer un nœud et un dénoûment; donner à chaque personnage son caractère, le soutenir, le rendre intéressant, et augmenter cet intérêt de scène en scène; faire en sorte qu'aucun d'eux ne paraisse et ne sorte sans une raison sentie de tous les spectateurs; ne laisser jamais le théâtre vide; faire dire à chacun ce qu'il doit dire, avec uoblesseet sans enflure, avec simpHcilé, sans bassesse; faire de beaux vers qui ne sentent point le poète, et tels

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