Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/259

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munication contre une société gagée par le roi est le comble de l’insolence et du ridicule ? Et pourquoi en même temps personne ne travaille-t-il à lever ce scandale ?

— Je crois vous avoir déjà répondu, dit Grizel, en vous avouant que tout est contradiction chez nous. La France, à parler sérieusement, est le royaume de l’esprit et de la sottise, de l’industrie et de la paresse, de la philosophie et du fanatisme, de la gaieté et du pédantisme, des lois et des abus, du bon goût et de l’impertinence. La contradiction ridicule de la gloire de Cinna, et de l’infamie de ceux qui représentent Cinna : le droit qu’ont les évêques d’avoir un banc particulier aux représentations de Cinna, et le droit d’anathématiser les acteurs, l’auteur[1] et les spectateurs, sont assurément une incompatibilité digne de la folie de ce peuple ; mais trouvez-moi dans le monde un établissement qui ne soit pas contradictoire.

« Dites-moi pourquoi, les apôtres ayant tous été circoncis, les quinze premiers évêques de Jérusalem ayant été circoncis[2], vous n’êtes pas circoncis ; pourquoi la défense de manger du boudin n’ayant jamais été levée, vous mangez impunément du boudin ; pourquoi les apôtres ayant gagné leur pain à travailler de leurs mains, leurs successeurs regorgent de richesses et d’honneurs ; pourquoi saint Joseph ayant été charpentier, et son divin fils ayant daigné être élevé dans ce métier, son vicaire a chassé les empereurs, et s’est mis sans façon à leur place. Pourquoi a-t-on excommunié, anathématisé pendant des siècles, ceux qui disaient que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils ? Et pourquoi damne-t-on aujourd’hui ceux qui pensent le contraire ?

« Pourquoi est-il expressément défendu dans l’Évangile de se remarier, quand on a fait casser son mariage[3], et que nous permettons qu’on se remarie ? Dites-moi comment le même mariage est annulé à Paris, et subsiste dans Avignon ?

« Et pour vous parler du théâtre, que vous aimez, expliquez-nous comment vous applaudissez à la brutale et factieuse insolence de Joad, qui fait couper la tête à Athalie parce qu’elle voulait élever son petit-fils Joas chez elle ; tandis que si un prêtre osait, parmi nous, attenter quelque chose de semblable contre

  1. À l’Académie française, le 29 avril 1830, jour de l’élection de M. Sanson de Pongerville, les ecclésiastiques, M. l’abbé Feletz, M. Frayssinous, évêque d’Hermopolis, et M. de Quélen, archevêque de Paris, votaient pour M. Ancelot, auteur dramatique. (B.)
  2. Voyez les notes, tome XVIII, page 480, et tome XX, page 593.
  3. Saint Marc, chapitre x, versets 11 et 12.