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268 UN SAUVAGE

gouvernements, le meilleur culte, le droit des gens, le droit public, le droit civil, le droit canon? comment se nommaient le premier homme et la première femme qui ont peuplé l'Amé- rique ? Savez-vous à quel dessein il pleut dans la mer, et pourquoi vous n'avez point de barbe?

LE SAUVAGE,

En vérité, monsieur, vous abusez un peu de l'aveu que j'ai fait d'avoir plus de mémoire que les animaux : j'ai peine à retrouver les questions que vous me faites. Vous parlez du bon et du mauvais, du juste et de l'injuste : il me paraît que tout ce qui nous fait plaisir sans faire tort à personne est très -bon et très-juste; que ce qui fait tort aux hommes sans nous faire de plaisir est abominable; et que ce qui nous fait plaisir en faisant du tort aux autres est bon pour nous dans le moment, très-dan- gereux pour nous-mêmes, et très-mauvais pour autrui.

LE BACHELIER.

Et avec ces maximes-là vous vivez en société ?

LE SAUVAGE.

Oui, avec nos parents et nos voisins. Sans beaucoup de peines et de chagrins, nous attrapons doucement notre centaine d'an- nées ; plusieurs même vont à cent vingt : après quoi notre corps fertilise la terre dont il a été nourri.

LE BACHELIER,

Vous me paraissez avoir une bonne tête ; je veux vous la ren- verser. Dînons ensemble : après quoi nous continuerons à philo- sopher avec méthode.

��SECOND ENTRETIEN.

LE SAUVAGE.

J'ai avalé des aliments qui ne me paraissent pas faits pour moi, quoique j'aie un très-bon estomac ; vous m'avez fait manger quand je n'avais plus faim, et boire quand je n'avais plus soif; mes jambes ne sont plus si fermes qu'elles l'étaient avant le dîner, ma tête est plus pesante, mes idées ne sont plus si nettes. Je n'ai jamais éprouvé celte diminution de moi-même dans mon pays. Plus on met ici dans son corps, et plus on perd de son être. Dites- moi, je vous prie, quelle est la cause de ce dommage.

LE BACHELIER.

Je vais vous le dire. Premièrement, à l'égard de ce qui se passe dans vos jambes, je n'en sais rien; mais les médecins le

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