274 ARISTE ET AGROTAL.
pour noyer les habitants, comme le voulait, dit-on, un grand ministres qui n'était pas philosophe?
ACROTAL.
Plût à Dieu que ce Bayle se fût noyé, ainsi que ses Hollandais hérétiques ! A-t-on jamais vu un plus abominable homme? il ex- pose les choses avec une fidélité si odieuse; il met sous les yeux le pour et le contre avec une impartialité si lâche ; il est d'une clarté si intolérable, qu'il met les gens qui n'ont que le sens com- mun en état de juger et même de douter : on n'y peut pas tenir; et pour moi, j'avoue que j'entre dans une sainte fureur quand on parlede cet homme-là et de ses semblables.
ARISTE,
Je ne crois pas qu'ils aient jamais prétendu vous mettre en colère Mais où courez-vous donc si vite?
ACROTAL.
Chez monsignor Bardo-Bardi. Il y a deux jours que je demande audience ; mais il est tantôt avec son page, tantôt avec la signera Buona Roba ; je n'ai pu encore avoir l'honneur de lui parler.
ARISTE.
Il est actuellement à l'Opéra. Qu'avez-vous donc de si pressé à lui dire ?
ACROTAL.
Je voulais le prier d'interposer son crédit pour faire brûler un petit abbé qui insinue parmi nous les sentiments de Locke, d'un philosophe anglais ! Figurez-vous quelle horreur!
ARISTE.
Hé! quels sont donc, s'il vous plaît, les sentiments horribles de cet Anglais?
ACROTAL.
Que sais-je ! c'est par exemple que nous ne nous donnons point nos idées ; que Dieu, qui est le maître de tout, peut accorder des sensations et des idées à tel être qu'il daignera choisir ; que nous ne connaissons ni l'essence ni les éléments delà matière ; que les hommes ne pensent pas toujours; qu'un homme bien ivre qui s'endort n'a pas des idées nettes dans son sommeil ; et cent au- tres impertinences de cette force.
ARISTE.
Eh bien ! si votre petit al>bé, disciple de Locke, est assez mala- visé pour ne pas croire qu'un ivrogne endormi pense beaucoup,
1. Louvois.
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