Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/414

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pour avoir révélation de ses complices, être ensuite rompu vif, expirer sur la roue, après y avoir demeuré deux heures, et être ensuite brûlé. »

Cet avis fut suivi par six juges; trois autres opinèrent à la question seulement ; deux autres furent d’avis qu’on vérifiât sur les lieux s’il était possible que Marc-Antoine Calas eût pu se pendre lui-même ; un seul opina à mettre Jean Calas hors de cour.

Enfin, après de très-longs débats, la pluralité se trouva pour la question ordinaire et extraordinaire, et pour la roue.

Ce malheureux père de famille, qui n’avait jamais eu de querelle avec personne, qui n’avait jamais battu un seul de ses enfants, ce faible vieillard de soixante-huit ans fut donc condamné au plus horrible des supplices, pour avoir étranglé et pendu de ses débiles mains, en haine de la religion catholique, un fils robuste et vigoureux, qui n’avait pas plus d’inclination pour cette religion catholique que le père lui-même.

Interrogé sur ses complices au milieu des horreurs de la question, il répondit ces propres mots : « Hélas! où il n’y a point de crime peut-il y avoir des complices? n

Conduit de la chambre de la question au lieu du supplice, la même tranquillité d’âme l’y accompagna \ Tous ses concitoyens, qui le virent passer sur le chariot fatal, eu furent attendris; le peuple même, qui depuis quelque temps était revenu de son fanatisme, versait sur son malheur des larmes sincères. Le commissaire qui présidait à Texécution prit de lui le dernier interrogatoire ; il n’eut de lui que les mêmes réponses. Le P. Bourges, religieux jacobin et professeur en théologie, qui, avec le P. Caldaguès, religieux du même ordre, avait été chargé de l’assister dans ses derniers moments, et surtout de l’engager à ne rien celer de la vérité, le trouva tout disposé à offrir à Dieu le sacrifice de sa vie pour l’expiation de ses péchés ; mais, autant qu’il marquait de résignation aux décrets de la Providence, autant il fut ferme à défendre son innocence et celle des autres prévenus.

Un seul cri fort modéré lui échappa au premier coup qu’il reçut, les autres ne lui arrachèrent aucune plainte. Placé ensuite sur la roue pour y attendre le moment qui devait finir son sup-

1. Calas fut un moment ébranlé. (Idiniiu’ il tniversail la cour du palais pour subir son dernier interrogatoire, un bûcher enflammé frappa ses yeux : c’était un écrit du pasteur Paul Rabaut, père de Rabaut Saint-Etienne, qu’on brûlait. Calas crut voir l’appareil de son supplice, et son interrogatoire se ressentit de cette impression de terreur. (G. A.)