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DES CALAS. 407

avec lui pour le pendre ; un de nos amis devait être du souper, il nous aurait aidés, mais nous nous passerons bien de lui ? »

Cet excès de démence ne pouvait se soutenir plus longtemps ; cependant le rapporteur fut d'avis de condamner Lavaisse au bannissement; tous les autres juges, à l'exception du sieur Dar- bou, s'élevèrent contre cet avis.

Enfin, quand il fut question de la servante des Calas, le rap- porteur opina à son élargissement, en faveur de son ancienne catholicité ; et cet avis passa tout d'une voix.

Serait-il possible qu'il y eût à présent dans Toulouse des juges qui ne pleurassent pas l'innocence d'une famille ainsi traitée? Ils pleurent sans doute, et ils rougissent : et une preuve qu'ils se repentent de cet arrêt cruel, c'est qu'ils ont pendant quatre mois refusé la communication du procès, et même de l'arrêt, à qui- conque l'a demandée.

Chacun d'eux se dit aujourd'hui dans le fond de son cœur : « Je vois avec horreur tous ces préjugés, toutes ces suppositions qui font frémir la nature et le sens commun. Je vois que par un arrêt j'ai fait expirer sur la roue un vieillard qui ne pouvait être coupable ; et que par un autre arrêt j'ai mis hors de cour tous ceux qui auraient été nécessairement criminels comme lui si le crime eût été possible. Je sens qu'il est évident qu'un de ces arrêts dément l'autre; j'avoue que si j'ai fait mourir le père sur la roue, j'ai eu tort de me borner à bannir le fils, et j'avoue qu'en effet j'ai à me reprocher le bannissement du fils, la mort effroyable du père, et les fers dont j'ai chargé une mère respec- table et le jeune Lavaisse pendant six mois.

« Si nous n'avons pas voulu montrer la procédure à ceux qui nous l'ont demandée, c'est qu'elle était effacée par nos larmes ; ajoutons à ces larmes la réparation qui est due à une honnête famille que nous avons précipitée dans la désolation et dans l'indigence ; je ne dirai pas dans l'opprobre, car l'opprobre n'est pas le partage des innocents ; rendons à la mère le bien que ce procès abominable lui a ravi. J'ajouterais : demandons-lui pardon ; mais qui de nous oserait soutenir sa présence?

't Recevons du moins des remontrances publiques, fruit lamen- table d'une publique injustice ; nous en faisons au roi, quand il demande à son peuple des secours absolument indispensables pour défendre ce même peuple du fer de ses ennemis : ne soyons pas étonnés que la terre entière nous en fasse quand nous avons fait mourir le plus innocent des hommes. Ne voyons-nous pas que ces remontrances sont écrites de son sang ? »

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