Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/534

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rieurs aux parsis, ou des brames, qui se vantent d’une antiquité encore plus reculée ? Seriez-vous juif ? êtes-vous chrétien du rite grec, ou de celui des Arméniens, ou des Cophtes ou des Latins ?

L’HONNÊTE HOMME.

J’adore Dieu, je tâche d’être juste, et je cherche à m’instruire.

LE CALOYER.

Mais ne donnez-vous pas la préférence aux livres juifs sur le Zend-Avesta, sur le Veidam, sur l’Alcoran ?

L’HONNÊTE HOMME.

Je crains de n’avoir pas assez de lumières pour bien juger des livres, et je sens que j’en ai assez pour voir, dans le grand livre de la nature, qu’il faut adorer et aimer son maître.

LE CALOYER.

Y a-t-il quelque chose qui vous embarrasse dans les livres juifs ?

L’HONNÊTE HOMME.

Oui, j’avoue que j’ai de la peine à concevoir ce qu’ils rapportent. J’y vois quelques incompatibilités dont ma faible raison s’étonne.

1o Il me semblait difficile que Moïse ait écrit dans un désert le Pentateuque, qu’on lui attribue. Si son peuple venait d’Égypte, où il avait demeuré, dit l’auteur, quatre cents ans (quoiqu’il se trompe de deux cents), ce livre eût été probablement écrit en égyptien ; et on nous dit qu’il l’était en hébreu.

Il devait être gravé sur la pierre ou sur le bois ; on n’avait, du temps de Moïse, d’autre manière d’écrire. C’était un art fort difficile, qui demandait de longs préparatifs ; il fallait polir le bois ou la pierre. Il n’y a pas d’apparence que cet art pût être exercé dans un désert où, selon ce livre même[1], la horde juive n’avait pas de quoi se faire des habits et des souliers, et où Dieu fut obligé de faire un miracle continuel pendant quarante années pour leur conserver leurs vêtements et leurs chaussures sans dépérissement. Il est si vrai qu’on n’écrivait que sur la pierre que l’auteur du livre de Josuè[2] dit que le Deutéronome fut écrit sur un autel de pierres brutes enduites de mortier. Apparemment que Josué n’avait pas intention que ce livre fût durable[3].

2o Les hommes les plus versés dans l’antiquité pensent que ces livres ont été écrits plus de sept cents ans après Moïse. Ils se

  1. Deutéronome, xxix, 5.
  2. viii, 32.
  3. Les deux dernières phrases de cet alinéa ne sont pas dans l’édition de 1764 ; elles sont dans le Recueil nécessaire. (B.)