Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/540

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

presque contemporain ; Josèphe, parent de Mariamne, sacrifiée par Hérode ; Josèphe, ennemi naturel de ce prince : il ne dit pas un mot de cette aventure ; il est Juif, et il ne parle pas même de ce Jésus né chez les Juifs.

Que d’incertitudes m’accablent dans la recherche importante de ce que je dois adorer et de ce que je dois croire ! Je lis les Écritures, et je n’y vois nulle part que Jésus, reconnu depuis pour Dieu, se soit jamais appelé Dieu ; je vois même tout le contraire : il dit[1] que son père est plus grand que lui, que le père seul sait ce que le fils ignore[2]. Et comment encore ces mots de père et de fils se doivent-ils entendre chez un peuple où, par les fils de Bélial, on voulait dire les méchants, et par les fils de Dieu, on désignait les hommes justes ? J’adopte quelques maximes de la morale de Jésus ; mais quel législateur enseigna jamais une mauvaise morale ? dans quelle religion l’adultère, le larcin, le meurtre, l’imposture, ne sont-ils pas défendus ; le respect pour les parents, l’obéissance aux lois, la pratique de toutes les vertus, expressément ordonnés ?

Plus je lis, plus mes peines redoublent. Je cherche des prodiges dignes d’un Dieu, attestés par l’univers. J’ose dire, avec cette naïveté douloureuse qui craint de blasphémer, que les diables envoyés dans le corps d’un troupeau de cochons[3], de l’eau changée en vin en faveur de gens qui étaient ivres[4], un figuier séché pour n’avoir pas porté des figues avant le temps[5], etc., ne remplissent pas l’idée que je m’étais faite du maître de la nature, annonçant et prouvant la vérité par des miracles éclatants et utiles. Puis-je adorer ce maître de la nature dans un Juif qu’on dit transporté par le diable sur le haut d’une montagne dont on découvre tous les royaumes de la terre ?

Je lis les paroles qu’on rapporte de lui ; j’y vois une prochaine arrivée du royaume des cieux figuré par un grain de moutarde[6], par un filet à prendre des poissons[7], par de l’argent mis à usure[8], par un souper auquel on fait entrer par force des borgnes et des boiteux[9]. Jésus dit qu’on ne met point de vin nouveau dans de vieux tonneaux[10], que l’on aime mieux le vin vieux que le nouveau[11]. Est-ce ainsi que Dieu parle ?

  1. Jean, xiv, 28.
  2. Matthieu, xxiv, 36 ; Marc, xiii, 32.
  3. Matthieu, viii, 32 ; Marc, v, 13.
  4. Jean, II, 9.
  5. Matthieu, xi, 19 ; Marc, xi, 13.
  6. Matthieu, XIII, 31.
  7. Matthieu xiii, 47.
  8. Luc, xiv, 21.
  9. Ibid., xiv.
  10. Matthieu, ix, 17 ; Marc ii, 22 ; Luc v, 37.
  11. Luc, v, 39.