Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/548

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Les premiers apôtres ont été expressément envoyés pour chasser les diables : on défend les diables ; les apôtres se faisaient apporter l’argent des prosélytes : celui qui est convaincu de prendre ainsi de l’argent est puni ; ils disaient qu’il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes[1], et sur ce prétexte ils bravaient les lois : le gouvernement maintient que suivre les lois c’est obéir à Dieu. Enfin la politique tâche sans cesse de concilier l’erreur reçue et le bien public.

LE CALOYER.

Mais vous allez en Europe ; vous serez obligé de vous conformer à quelqu’un des cultes reçus.

L’HONNÊTE HOMME.

Quoi donc ! Ne pourrai-je faire en Europe comme ici : adorer paisiblement le Créateur de tous les mondes, le Dieu de tous les hommes, celui qui a mis dans mon cœur l’amour de la vérité et de la justice ?

LE CALOYER.

Non, vous risqueriez trop ; l’Europe est divisée en factions, il faudra en choisir une.

L’HONNÊTE HOMME.

Des factions, quand il s’agit de la vérité universelle, quand il s’agit de Dieu !

LE CALOYER.

Tel est le malheur des hommes. On est obligé de faire comme eux, ou de les fuir ; je vous demande la préférence pour l’Église grecque.

L’HONNÊTE HOMME.

Elle est esclave.

LE CALOYER.

Voulez-vous vous soumettre à l’Église romaine ?

L’HONNÊTE HOMME.

Elle est tyrannique. Je ne veux ni d’un patriarche simoniaque qui achète sa honteuse dignité d’un grand-vizir, ni d’un prêtre qui s’est cru pendant sept cents ans le maître des rois.

LE CALOYER.

Il n’appartient pas à un religieux tel que je le suis de vous proposer la religion protestante.

L’HONNÊTE HOMME.

C’est peut-être celle de toutes que j’adopterais le plus volontiers, si j’étais réduit au malheur d’entrer dans un parti.

  1. Actes, v, 29.