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SUR LES MŒURS.

qu’il a été le plus durable. Elle désirait un supplément à cet ouvrage, lequel finît à Charlemagne, et on entreprit cette étude pour s’instruire avec elle.

II. — GRAND OBJET DE L’HISTOIRE DEPUIS CHARLEMAGNE.

L’objet était l’histoire de l’esprit humain, et non pas le détail des faits presque toujours défigurés ; il ne s’agissait pas de rechercher, par exemple, de quelle famille était le seigneur de Puiset, ou le seigneur de Montlhéry[1], qui firent la guerre à des rois de France ; mais de voir par quels degrés on est parvenu de la rusticité barbare de ces temps à la politesse du nôtre.

On remarqua d’abord que, depuis Charlemagne, dans la partie catholique de notre Europe chrétienne, la guerre de l’empire et du sacerdoce fut jusqu’à nos derniers temps le principe de toutes les révolutions ; c’est là le fil qui conduit dans le labyrinthe de l’histoire moderne.

Les rois d’Allemagne, depuis Othon Ier, pensèrent avoir un droit incontestable sur tous les États possédés par les empereurs romains, et ils regardèrent tous les autres souverains comme les usurpateurs de leurs provinces : avec cette prétention et des armées, l’empereur pouvait à peine conserver une partie de la Lombardie ; et un simple prêtre, qui à peine obtient dans Rome les droits régaliens, dépourvu de soldats et d’argent, n’ayant pour armes que l’opinion, s’élève au-dessus des empereurs, les force à lui baiser les pieds, les dépose, les établit. Enfin, du royaume de Minorque au royaume de France, il n’est aucune souveraineté dans l’Europe catholique dont les papes n’aient disposé, ou réellement par des séditions, ou en idée par de simples bulles. Tel est le système d’une très-grande partie de l’Europe jusqu’au règne de Henri IV, roi de France.

C’est donc l’histoire de l’opinion qu’il fallut écrire ; et par là ce chaos d’événements, de factions, de révolutions, et de crimes, devenait digne d’être présenté aux regards des sages.

C’est cette opinion qui enfanta les funestes croisades des chrétiens contre des mahométans et contre des chrétiens même. Il est clair que les pontifes de Rome ne suscitèrent ces croisades que pour leur intérêt. Si elles avaient réussi, l’Église grecque leur eût été asservie. Ils commencèrent par donner à un cardinal le

  1. C’est tome XI, page 411, que Voltaire parle du sire de Montlhéry et du sire de Puiset.