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SL'R LES MŒURS. o63

mille livres de revenu, rendraient plus de services au roi et à la nation qu'un abbé qui possède deux cent mille livres de rente. L'exemple de Londres est frappant : tel quartier de cette ville, habité autrefois par trente moines, Test aujourd'hui par trois cents familles. On manque quelquefois d'agriculteurs, de soldats, de matelots, d'artisans ; ils sont dans les cloîtres, et ils y lan- guissent.

La plupart sont des esclaves enchaînés sous un maître qu'ils se sont donné: ils lui parlent à genoux, ils l'appellent rnori<;ci- gneur; c'est la plus profonde humiliation devant le plus grand faste; et encore, dans cet abaissement, ils tirent une vanité se- crète de la grandeur de leur despote.

Plusieurs religieux, il est vrai, détestent dans l'âge mûr les chaînes dont ils se sont garrottés dans l'âge où l'on ne devrait pas disposer de soi-même; mais ils aiment leur institut, leur ordre, et ces esclaves ont les yeux si fascinés que la plupart ne voudraient pas de la liberté si on la leur rendait. Ce sont les compagnons d'Ulysse, qui refusent de reprendre la forme hu- maine. Ils se dédommagent de cet abrutissement en Itahe, en Es- pagne, en donnant insolemment leurs mains à baiser aux femmes. Leurs abbés sont princes en Allemagne. On voit des moines grands officiers d'un prince moine, et son cloître est une cour qui nourrit l'ambition. Depuis que cet ouvrage a été écrit, tout est bien changé. Les hommes ont enfin ouvert les yeux.

Les moines, dans leur institut, sont hors du genre humain, et ils ont voulu gouverner le genre humain. Séculiers et errants dans leur origine, ils ont été incorporés dans la hiérarchie de l'Église grecque ; mais ils ont été regardés comme les ennemis de la hiérarchie latine. On a proposé dans tous les pays catho- liques de diminuer leur nombre ; Ton n'a jamais pu y parvenir jusqu'à présent. Dans les pays protestants, on a été forcé de les détruire tous.

On vient d'abolir les jésuites en France pour la seconde fois^ : on leur reprochait des privilèges qu'ils ne tenaient que de Rome, et qui étaient incompatibles avec les lois de l'État ; mais tous les autres religieux ont à peu près les mêmes privilèges. Les jésuites ont été chassés du Portugal par des raisons de politique, et à l'occasion de l'assassinat du roi- ; ils ont été détruits en France pour avoir voulu dominer dans les belles-lettres, dans l'État, et

��1. Voyez le Précis du Siècle de Louis XV, chapitre xxwiii. {Xote de Voltaire.)

2. Voyez ibid., tome XV, page 395.

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