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UN BRACHMANE

de Bonne-Espérance. Ce roi de Portugal n’a-t-il pas, avec le secours de la boussole, changé la face du monde ? Mais il fallait qu’un Napolitain[1] eût inventé la boussole. Et puis dites que tout n’est pas éternellement asservi à un ordre constant, qui unit par des liens invisibles et indissolubles tout ce qui naît, tout ce qui agit, tout ce qui souffre, tout ce qui meurt sur notre globe.

le jésuite.

Hé ! que deviendront les futurs contingents ?

le brachmane.

Ils deviendront ce qu’ils pourront ; mais l’ordre établi par une main éternelle et toute-puissante doit subsister à jamais.

le jésuite.

À vous entendre, il ne faudrait donc point prier Dieu ?

le brachmane.

Il faut l’adorer. Mais qu’entendez-vous par le prier ?

le jésuite.

Ce que tout le monde entend : qu’il favorise nos désirs, qu’il satisfasse à nos besoins.

le brachmane.

Je vous comprends. Vous voulez qu’un jardinier obtienne du soleil à l’heure que Dieu a destinée de toute éternité pour la pluie, et qu’un pilote ait un vent d’est lorsqu’il faut qu’un vent d’occident rafraîchisse la terre et les mers. Mon père, prier c’est se soumettre. Bonsoir. La destinée m’appelle à présent auprès de ma bramine.

le jésuite.

Ma volonté libre me presse d’aller donner leçon à un jeune écolier.

FIN DU DIALOGUE.
  1. Gioia. Voyez tome XII, page 355.