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GALIMATIAS

DRAMATIQUE

(1757 [1])




UN JÉSUITE, prêchant aux Chinois.

Je vous le dis, mes chers frères, notre Seigneur veut faire de tous les hommes des vases d’élection ; il ne tient qu’à vous d’être vases : vous n’avez qu’à croire sur-le-champ tout ce que je vous annonce ; vous êtes les maîtres de votre esprit, de votre cœur, de vos pensées, de vos sentiments. Jésus-Christ est mort pour tous, comme on sait, la grâce est donnée à tous. Si vous n’avez pas la contrition, vous avez l’attrition ; si l’attrition vous manque, vous avez vos propres forces et les miennes.

UN JANSÉNISTE, arrivant.

Vous en avez menti, enfant d’Escobar et de perdition ; vous prêchez ici l’erreur et le mensonge. Non, Jésus n’est mort que pour plusieurs ; la grâce est donnée à peu ; l’attrition est une sottise ; les forces des Chinois sont nulles, et vos prières sont des blasphèmes ; car Augustin et Paul…

LE JÉSUITE.

Taisez-vous, hérétique ; sortez, ennemi de saint Pierre. Mes frères, n’écoutez point ce novateur, qui cite Augustin et Paul ; et venez tous que je vous baptise.

LE JANSÉNISTE

Gardez-vous-en bien, mes frères ; ne vous faites point baptiser par la main d’un moliniste, vous seriez damnés à tous les diables. Je vous baptiserai dans un an au plus tôt, quand je vous aurais appris ce que c’est que la grâce.

  1. C’est d’après une note manuscrite de feu Decroix que j’ai mis cette date. Mais je dois remarquer que cet opuscule ne fut imprimé que dans le troisième volume des Nouveaux Mélanges, volume qui est de 1765. (B.)