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CHAPITRE XXV.

leur société en France : ils avaient été intolérants et persécuteurs[1] ; ils furent persécutés à leur tour.

L’extravagance des billets de confession, dont on les crut les auteurs secrets, et dont ils étaient publiquement les partisans, avait déjà ranimé contre eux la haine de la nation. Une banqueroute immense d’un de leurs missionnaires[2], banqueroute que l’on crut en partie frauduleuse, acheva de les perdre. Ces seuls mots de missionnaires et de banqueroutiers, si peu faits pour être joints ensemble, portèrent dans tous les esprits l’arrêt de leur condamnation. Enfin les ruines de Port-Royal[3] et les ossements de tant d’hommes célèbres insultés par eux dans leurs sépultures, et exhumés au commencement du siècle par des ordres que les jésuites seuls avaient dictés, s’élevèrent tous contre leur crédit expirant. On peut voir l’histoire de leur proscription dans l’excellent livre intitulé Sur la Destruction des jésuites en France[4], ouvrage impartial, parce qu’il est d’un philosophe, écrit avec la finesse et l’éloquence de Pascal, et surtout avec une supériorité de lumières qui n’est pas offusquée, comme dans Pascal, par des préjugés qui ont quelquefois séduit de grands hommes.

Cette grande affaire, dans laquelle quelques partisans des jésuites disaient que la religion était outragée, et où le plus grand nombre la croyait vengée, fit pendant plusieurs mois perdre de vue au public le procès des Calas ; mais le roi ayant attribué au tribunal qu’on appelle les requêtes de l’hôtel le jugement définitif, le même public, qui aime à passer d’une scène à l’autre, oublia les jésuites, et les Calas saisirent toute son attention.

La chambre des requêtes de l’hôtel est une cour souveraine composée de maîtres des requêtes, pour juger les procès entre les officiers de la cour et les causes que le roi leur renvoie. On ne pouvait choisir un tribunal plus instruit de l’affaire : c’étaient précisément les mêmes magistrats qui avaient jugé deux fois les préliminaires de la révision, et qui étaient parfaitement instruits du fond et de la forme. La veuve de Jean Calas, son fils, et le sieur de Lavaisse, se remirent en prison : on fit venir du fond du Languedoc cette vieille servante catholique qui n’avait pas quitté un moment ses maîtres et sa maîtresse, dans le temps qu’on supposait, contre toute vraisemblance, qu’ils étranglaient leur fils et leur frère. On délibéra enfin sur les mêmes pièces qui

  1. Voyez page 96.
  2. Le Père La Valette ; voyez tome XVI, page 100.
  3. Voyez tome XV, page 39 et suiv.
  4. Par d’Alembert, 1765, in-12 ; 1767, in-12 ; et dans les Œuvres de cet auteur.