Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/210

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rir Rodrigue ou de lui pardonner. Chimène dit tout ce que lui fait dire Corneille :

Je sais que je suis fille, et que mon père est mort’.

El conde es muerto, y su hija soy.

Sa fille est bien mieux que je suis fille : car ce n’est pas parce que Chimène est fille, mais parce qu’elle est fille du comte, qu’elle doit demander justice de son amant.

On trouve dans la pièce de Diamante cette pensée singulière :

Il est teint de mon sang. — Plonge-le dans le mien^,
Et fais-lui perdre ainsi la teinture du tien.

Manchado de sangre mia
El pardera lo tenido
Si con la mia le lavas.

Quoi! souillé de mon sang! — Il ne le sera plus s’il est lavé dans le mien. Lo tenido n’est pas la teinture ; l’Espagnol est ici plus simple, plus vrai, moins recherché que le Français.

C’est encore dans cette pièce que se trouve l’original de ce beau vers :

Le poursuivre, le perdre, et mourir après lui^.

Perseguille hasta perdelle
Y morir luego con él.

En un mot, une grande partie des sentiments attendrissants qui valurent au Cid français un succès si prodigieux sont dans les deux Cid espagnols, mais noyés dans le bizarre et dans le ridicule. Comment un tel assemblage s’est-il pu faire ? C’est que les auteurs espagnols avaient beaucoup de génie, et le public très-peu de goût ; c’est que, pour peu qu’il y eût quelque intérêt dans un ouvrage, on était content, on ne se gênait sur rien ; nulle bienséance, nulle vraisemblance, point de style, point de vraie éloquence. Croirait-on que Chimène prend sans façon Rodrigue pour son mari à la fin de la pièce, et que le vieux

1. Le Cid, III, scène iii.

2. Ibid., III, IV.

3. Ibid., acte III, iii.