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318 CONFORMEZ-VOUS AUX TEMPS.

à trois cents lieues de chez soi pour posséder en sûreté dans sa patrie des prés et des vignes accordés par le souverain.

On verra qu'il n'appartient pas plus à un Italien de se mêler de ce que pense un Français qu'il n'appartient à ce Français de prescrire à cet Italien ce qu'il doit penser. On sentira l'énorme et dangereux ridicule d'avoir dans un État un corps considérable^ de citoyens dépendants d'un maître étranger. Ce corps com- prendra lui-même qu'il serait plus honoré, plus cher à la nation, si, réclamant son indépendance naturelle, il cessait d'employer à ses dépens une espèce de simonie pour se rendre esclave. Il se fortifiera dans cette idée sage et noble par l'exemple d'une île voisine-. Alors vous ferez servir votre influence et votre pouvoir à briser des liens dont la nation s'indigne. Vous vous conformerez aux temps.

Il est plus beau, sans doute, de les préparer que de s'y con- former : car il y a peu de mérite à se nourrir des fruits que l'arrière-saison fait naître ; mais c'en est un grand de préparer sa terre, par une sage culture, à porter de bonne heure les pro- ductions dont on n'aurait eu qu'une jouissance tardive.

L'opinion gouverne le monde; mais ce sont les sages qui à la longue dirigent cette opinion.

Quand ces sages ont enfin éclairé les hommes, il ne faut pas traiter avec eux comme on usait du temps de Pierre Lombard ^ de Scot* et de Gilbert de La Porée^

Une société insociable ^ étrangère dans sa patrie, composée de gens de mérite, de sots, de fanatiques, de fripons, portait d'un bout de l'univers à l'autre l'étendard d'un homme qui pré- tend commander de droit divin à l'univers ; elle avait fabriqué dans un coin, au nom de cet homme, cent et une flèches^ dont elle perçait dévotement ses ennemis : elle voulut persuader que ces flèches étaient d'or, et qu'elles étaient tombées du ciel.

Pour appuyer cette opinion, elle employa une espèee de magie. Les incrédules** qui voulaient prouver que ces flèches n'étaient que de plomb se trouvaient tout d'un coup, sans savoir

1. Le clergé formait alors un des trois ordres de l'État.

2. L'Angleterre, libre du joug de Rome depuis 1534.

3. Voyez la note, tome XIX, page 250.

4. Voyez tome XI, page 381 : Jean Scot vivait au ix siècle.

5. Gilbert, surnommé de La Porée, théologien et évoque de Poitiers, florissait au xn"= siècle.

6. La société des jésuites.

7. Allusion aux cent et une propositions condamnées par la bulle Unigenitus.

8. Les jansénistes.

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