« Pourquoi donc, dit-il, les Hollandais ne furent-ils chrétiens qu’au bout de huit cents années ? pourquoi donc n’a-t-il pas enseigné lui-même cette religion ? Elle consiste à croire le péché originel, et Jésus n’a pas fait la moindre mention du péché originel ; à croire que Dieu a été homme, et Jésus n’a jamais dit qu’il était Dieu et homme tout ensemble ; à croire que Jésus avait deux natures, et il n’a jamais dit qu’il eût deux natures ; à croire qu’il est né d’une vierge, et il n’a jamais dit qu’il fût né d’une vierge ; au contraire, il appelle sa mère femme ; il lui dit durement[1] : « Femme, qu’y a-t-il entre vous et moi ? » à croire que Dieu est né de David, et il se trouve qu’il n’est point né de David ; à croire sa généalogie, et on lui en a fait deux qui se contredisent absolument.
« Cette religion consiste encore dans certains rites dont il n’a jamais dit un seul mot. Il est clair, par vos Évangiles, que Jésus naquit Juif, vécut Juif, mourut Juif ; et je suis fort étonné que vous ne soyez pas juif. Il accomplit tous les préceptes de la loi juive : pourquoi les réprouvez-vous ?
« On lui fait dire même dans un Évangile[2] : « Je ne suis pas venu détruire la loi, mais l’accomplir. » Or est-ce accomplir la loi mosaïque que d’en avoir tous les rites en horreur ? Vous n’êtes point circoncis, vous mangez du porc, du lièvre, et du boudin : en quel endroit de l’Évangile Jésus vous a-t-il permis d’en manger ? Vous faites et vous croyez tout ce qui n’est pas dans l’Évangile : comment donc pouvez-vous dire qu’il est votre règle ? Les apôtres de Jésus observaient la loi juive comme lui. « Pierre et Jean montèrent au temple à l’heure neuvième de l’oraison. » (Actes des apôtres, chap. xvi[3]) Paul alla, longtemps après, judaïser dans le temple pendant huit jours, selon le conseil de Jacques. Il dit à Festus : Je suis pharisien[4]. Aucun apôtre n’a dit : « Renoncez à la loi de Moïse. » Pourquoi donc les chrétiens y ont-ils entièrement renoncé dans la suite des temps ? »
Je lui répondis avec cette modération qui sied si bien à la vérité, et avec la modestie convenable à ma médiocrité : « Si Dieu n’a rien écrit, et si dans les Évangiles Dieu n’a point enseigné expressément la religion chrétienne telle que nous l’observons aujourd’hui, ses apôtres y ont suppléé ; s’ils n’ont pas tout dit,