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CHAPITRE III.

leur seule iniquité. Ils étaient établis depuis trois cents ans dans des déserts et sur des montagnes qu’ils avaient rendus fertiles par un travail incroyable. Leur vie pastorale et tranquille retraçait l’innocence attribuée aux premiers âges du monde. Les villes voisines n’étaient connues d’eux que par le trafic des fruits qu’ils allaient vendre, ils ignoraient les procès et la guerre ; ils ne se défendirent pas : on les égorgea comme des animaux fugitifs qu’on tue dans une enceinte[1].

Après la mort de François Ier, prince plus connu cependant par ses galanteries et par ses malheurs que par ses cruautés, le supplice de mille hérétiques, surtout celui du conseiller au parlement Dubourg, et enfin le massacre de Vassy, armèrent les persécutés, dont la secte s’était multipliée à la lueur des bûchers et sous le fer des bourreaux ; la rage succéda à la patience ; ils imitèrent les cruautés de leurs ennemis : neuf guerres civiles remplirent la France de carnage ; une paix plus funeste que la guerre produisit la Saint-Barthélemy, dont il n’y avait aucun exemple dans les annales des crimes.

La Ligue assassina Henri III et Henri IV, par les mains d’un frère jacobin et d’un monstre qui avait été frère feuillant[2]. Il y a des gens qui prétendent que l’humanité, l’indulgence, et la

  1. Le véridique et respectable président de Thou parle ainsi de ces hommes si innocents et si infortunés : « Homines esse qui trecentis circiter abhinc annis asperum et incultum solum vectigale a dominis acceperint, quod improbo labore et assiduo cultu frugum ferax et aptum pecori reddiderint ; patientissimos eos laboris et inediæ, a litibus abhorrentes, erga egenos munificos, tributa principi et sua jura dominis sedulo et summa fide pendere ; Dei cultum assiduis precibus et morum innocentia præ se ferre, cæterum raro divorum templa adire, nisi si quando ad vicina suis finibus oppida mercandi aut negotiorum causa divertant : quo si quandoque pedem inferant, non Dei divorumque statuis advolvi, neccereos eis aut donaria ulla ponere ; non sacerdotes ab eis rogari ut pro se aut propinquorum manibus rem divinam faciant : non cruce frontem insignire uti aliorum moris est ; cum cœlum intonat, non se lustrali aqua aspergere, sed sublatis in cœlum oculis Dei opem implorare ; non religionis ergo peregre proficisci, non per vias ante crucium simulacra caput aperire ; sacra alio ritu et populari lingua celebrare ; non denique pontifici aut episcopis honorem deferre, sed quosdam e sua numero delectos pro antistitibus et doctoribus habere. Hæc uti ad Franciscum relata vi id. feb., anni, etc. » (Thuani, Hist., lib. VI.)

    Mme  de Cental, à qui appartenait une partie des terres ravagées, et sur lesquelles on ne voyait plus que les cadavres de ses habitants, demanda justice au roi Henri II, qui la renvoya au parlement de Paris. L’avocat général de Provence, nommé Guérin, principal auteur des massacres, fut seul condammé à perdre la tête. De Thou dit qu’il porta seul la peine des autres coupables, quod aulicorum favore destitueretur, parce qu’il n’avait pas d’amis à la cour. (Note de Voltaire.)

  2. Ravaillac n’avait pas été feuillant. Voyez les Recherches historiques, t. VIII, page 292 de la présente édition.