Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/436

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armes parlantes, je vous fais ces lignes pour vous dire que, malgré l’opposition de nos deux sectes, la conformité de notre style m’autorise à user avec vous de la loi du talion.

Vous êtes prêtre papiste, je suis prêtre calviniste ; vous m’avez ennuyé, et je vais vous le rendre.

Je vous dirai donc, monsieur, que Jean-Jacques ayant fait des miracles à Neufchâtel, je procédai bravement à l’excommunier ; mais comme M.  Jean-Jacques a un goût extrême pour la communion, il voulut absolument en tâter.

Il avait d’abord communié dans la ville de Genève, où vous êtes, sous les deux espèces du pain levé ; ensuite il alla communier, avec du pain azyme, sans boire, chez les Savoyards, qui sont tous de profonds théologiens ; puis il revint à Genève communier avec pain et vin, puis il alla en France où il eut le malheur de ne point communier du tout, et il fut près de mourir d’inanition. Enfin il me demanda la sainte cène, ou souper du matin, d’une manière si pressante que je pris le parti de lui jeter des pierres pour l’écarter de ma table ; il avait beau me dire, comme le diable dans l’Évangile : « Mon cher monsieur de Montmolin, dites que ces pierres se changent en pains[1] ; » je lui répondis : « Méchant, souviens-toi que Jéhovah fit pleuvoir des pierres sur les Amorrhéens[2] dans le chemin de Bethoron, et les tua tous avant d’arrêter le soleil et la lune pour les retuer, et David tua Goliath à coups de pierres, et les petits garçons et les petites filles jetaient des pierres à Diogène, et tu en auras ta part. » Ainsi dit, ainsi fait ; je le fis lapider par tous les petits garçons du village, comme M.  Covelle et Mlle  Ferbot vous l’ont conté.

Des impies, dont le nombre se multiplie tous les jours, ont écrit que je gardais les manteaux[3] comme Paul l’apôtre[4]. Voyez la malice ! il est prouvé qu’il n’y a d’autre manteau que le mien à Boveresse et chez les gens de Travers. Ce manteau n’est pas assurément celui d’Elisée[5], car il avait un esprit double ; et vous et moi, monsieur, nous en avons un très-simple. Je ne voulus pas, après cet exploit, commander au soleil de s’arrêter sur la vallée de Travers, et à la lune sur Boveresse, parce qu’il était nuit, et qu’il n’y avait point de lune ce jour-là.

Or vous saurez, monsieur, que Jean-Jacques ayant été lapidé,

  1. Matth., IV, 3 ; Luc, iv, 3.
  2. Josué, X, 11, 12.
  3. Voyez page 423.
  4. Actes, vii, 57.
  5. IV. Rois, ii, 9.