Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/450

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tantôt aux magistrats, tantôt aux citoyens ; ils les divisent pour en être les maîtres : les vôtres sont puissants en œuvres et en paroles. Si Jean-Jacques Rousseau a fait des miracles, ils en font aussi. Ils s’associent avec le savant jésuite irlandais Needham ; ils viendront à vous doucement, couverts d’une peau d’anguille ; mais ce seront, au fond, de vrais serpents plus dangereux que celui d’Eve, car celui-ci fit manger de l’arbre de vie, et les vôtres vous feront mourir de faim en vous persécutant. Voici ce que je vous conseille ; faites-vous prêtre pour les combattre avec des armes égales.

Dès que vous serez prêtre, vous recevrez l’esprit comme eux ; vous pourrez alors devenir prophète, comme de Serres[1] et Jurieu l’ont été.

S’il vous tombe sous la main quelque Servet et quelque Antoine[2], vous les ferez brûler saintement, en criant contre l’Inquisition des papistes. Si quelqu’un du consistoire n’est pas de votre avis, vous serez en droit de lui donner un bon soufflet, comme le prophète Sédékia en donna un au prophète Miellée en lui disant : « Devine comment l’esprit de Dieu a passé par ma main pour aller sur ta joue[3]. »

Si le jésuite Needham vous reproche d’être hérétique, vous lui répondrez que la moitié des prophètes du Seigneur était native de Samarie, qui était le centre de l’hérésie, la mère du schisme, la Genève de l’ancienne loi.

Quand quelque infidèle vous parlera de vos amours avec Mlle Ferbot, vous citerez Osée, qui, non-seulement eut trois enfants d’une fille de joie nommée Gomer, par ordre exprès du Seigneur[4], mais qui ensuite reçut un nouvel ordre exprès du Seigneur de coucher avec une femme adultère moyennant quinze francs courant et un quarteron et demi d’orge. Il restera à discuter quelle était la plus jolie de Mlle Gomer ou de Mlle Ferbot. Priez M. Huber de la peindre, et sûrement Mlle Ferbot aura l’avantage.

Si vous aspirez à de nouvelles bonnes fortunes, allez tout nu dans les rues de Genève, comme Jérémie dans les rues de Jérusalem, ce vous sera gloire devant les filles : elles prendront ce temps pour danser aussi toutes nues autour de vous, afin de se

  1. Jean de Serres, frère puîné du célèbre agronome Olivier de Serres. Voltaire parle de ce vieil huguenot dans le chapitre xxxvi du Siècle de Louis XIV ; mort en 1598.
  2. Voyez le § vii du Commentaire sur le livre Des Délits et des Peines.
  3. Rois, liv. III, chap. xxii, 24. (Note de Voltaire.)
  4. Premier et troisième chapitres d’Osée. (Id.)