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LE PRÉSIDENT DE THOU


médisances qu’ils ont répandues dans leurs ouvrages, parce que beaucoup de personnes s’imaginent que ce sont des actes de vérité. »

Il faudrait au moins savoir parler sa langue, lorsqu’on ose censurer si durement un historien qui a écrit aussi purement que le président de Thou dans une langue étrangère. On ne dit point donner de l’esprit tout court ; on dit donner de l’esprit à ceux que l’on fait parler, et pour cela il faut en avoir. Cette expression donner de l’esprit n’est pas française. On ne dit point des actes de vérité, comme on dit des actes de foi, de charité, de justice.

« La plupart des auteurs, continue-t-il, ont voulu imiter Tacite, dont le style a gâté beaucoup d’historiens par la malignité de ses réflexions, qui n’ont rien de naturel ni d’innocent. »

Il aurait dû voir que le style n’a rien de commun avec la malignité des réflexions. On peut avoir un bon ou un mauvais style, soit qu’on fasse une satire, soit qu’on fasse un panégyrique. Et une malignité qui n’a rien d’innocent est assurément une phrase qui n’a rien de spirituel.

Est-il permis à un homme qui écrit ainsi de reprocher à M. de Thou de pédantisme ? Il le condamne surtout[1] parce qu’il a écrit en latin. Ne sait-il pas que du temps de M. de Thou, le latin était encore la langue universelle des savants ? Le français n’était pas formé ; il fallait écrire en latin pour être lu de toutes les nations.

Une telle préface révolte tout honnête homme ; et lorsqu’on voit ensuite l’auteur parler de lui-même, en commençant la Vie de Henri IV, et dire qu’il a déjà donné au public la Vie de Philippe de Macédoine[2], on voit que ce pédant de Thou, qui peut-être était en droit, par son rang et son mérite, d’oser parler de lui dans son admirable histoire, n’a pourtant point eu un pédantisme si déplacé.

Le sieur de Bury ne devait ni se citer ainsi lui-même, ni insulter un grand homme, mais il devait mieux écrire.

« Son courage, dit-il[3] (en parlant de Henri IV), était presque au-dessus de l’humanité. Il est toujours sorti des occasions périlleuses victorieux et avec avantage. »

Le terme d’humanité fait ici une équivoque qui n’est pas permise, et quand on sort victorieux d’une action périlleuse, appa-

  1. Préface, page 22.
  2. Ibid., page 1.
  3. Ibid., page 3.