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SUR LES CALAS ET LES SIRVEN.


prudence de la sorcellerie ; toutes les décisions de ces juges y sont fondées sur l’exemple des magiciens de Pharaon, de la pythonisse d’Endor, des possédés dont il est parlé dans l’Évangile, et des apôtres envoyés expressément pour chasser les diables des corps des possédés. Personne n’osait seulement alléguer, par pitié pour le genre humain, que Dieu a pu permettre autrefois les possessions et les sortiléges, et ne les permettre plus aujourd’hui : cette distinction aurait paru criminelle ; on voulait absolument des victimes. Le christianisme fut toujours souillé de cette absurde barbarie ; tous les Pères de l’Église crurent à la magie ; plus de cinquante conciles prononcèrent anathème contre ceux qui faisaient entrer le diable dans le corps des hommes par la vertu de leurs paroles. L’erreur universelle était sacrée ; les hommes d’État qui pouvaient détromper les peuples n’y pensèrent pas ; ils étaient trop entraînés par le torrent des affaires ; ils craignaient le pouvoir du préjugé ; ils voyaient que ce fanatisme était né du sein de la religion même ; ils n’osaient frapper ce fils dénaturé, de peur de blesser la mère : ils aimèrent mieux s’exposer à être eux-mêmes les esclaves de l’erreur populaire que la combattre.

Les princes, les rois, ont payé chèrement la faute qu’ils ont faite d’encourager la superstition du vulgaire. Ne fit-on pas croire au peuple de Paris que le roi Henri III employait les sortiléges dans ses dévotions ? et ne se servit-on pas longtemps d’opérations magiques pour lui ôter une malheureuse vie que le couteau d’un jacobin[1] trancha plus sûrement que n’eût fait tout l’enfer évoqué par des conjurations ?

Des fourbes ne voulurent-ils pas conduire à Rome Marthe Brossier, la possédée, pour accuser Henri IV, au nom du diable, de n’être pas bon catholique ? Chaque année, dans ces temps à demi sauvages auxquels nous touchons, était marquée par de semblables aventures. Tout ce qui restait de la Ligue à Paris ne publia-t-il pas que le diable avait tordu le cou à la belle Gabrielle d’Estrées ?

On ne devrait pas, dit-on, reproduire aujourd’hui ces histoires si honteuses pour la nature humaine ; et moi, je dis qu’il en faut parler mille fois, qu’il faut les rendre sans cesse présentes à l’esprit des hommes. Il faut répéter que le malheureux prêtre Urbain Grandier fut condamné aux flammes par des juges ignorants et vendus à un ministre sanguinaire. L’innocence de Grandier était évidente ; mais des religieuses assuraient qu’il les avait ensorce-

  1. Jacques Clément ; voyez tome XII, page 536.