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Le résultat de toutes ces apparitions, qui seraient trop ennuyeuses à décrire, fut qu’enfin la Vierge lui avoua qu’elle était née dans le péché originel ; qu’elle aurait été damnée si son fils, qui n’était pas encore au monde, n’avait pas eu l’attention de la régénérer immédiatement après qu’elle fut née ; que les cordeliers étaient des impies qui offensaient grièvement son fils en prétendant que sa mère avait été conçue sans péché mortel, et qu’elle le chargeait d’annoncer cette nouvelle à tous les serviteurs de Dieu et de Marie dans Berne.

Jetser n’y manqua pas. Marie, pour le remercier, lui apparut encore, accompagnée de deux anges robustes et vigoureux ; elle lui dit qu’elle venait lui imprimer les saints stigmates de son fils pour preuve de sa mission et pour sa récompense. Les deux anges le lièrent ; la Vierge lui enfonça des clous dans les pieds et dans les mains. Le lendemain on exposa publiquement sur l’autel frère Jetser, tout sanglant des faveurs célestes qu’il avait reçues. Les dévotes vinrent en foule baiser ses plaies. Il fit autant de miracles qu’il voulut ; mais les apparitions continuant toujours, Jetser reconnut enfin la voix du sous-prieur sous le masque qui le cachait ; il cria, il menaça de tout révéler ; il suivit le sous-prieur jusque dans sa cellule ; il y trouva son confesseur, sainte Barbe, et les deux anges qui buvaient avec des filles.

Les moines, découverts, n’avaient plus d’autre parti à prendre que celui de l’empoisonner. Ils saupoudrèrent une hostie de sublimé corrosif ; Jetser la trouva d’un si mauvais goût qu’il ne put l’avaler : il s’enfuit hors de l’église, en criant aux empoisonneurs et aux sacriléges. Le procès dura deux ans ; il fallut plaider devant l’évêque de Lausanne, car il n’était pas permis alors à des séculiers d’oser juger des moines. L’évêque prit le parti des dominicains ; il jugea que les apparitions étaient véritables, et que le pauvre Jetser était un imposteur : il eut même la barbarie de faire mettre cet innocent à la torture ; mais les dominicains ayant ensuite eu l’imprudence de le dégrader, et de lui ôter l’habit d’un ordre si saint, Jetser étant redevenu séculier par cette manœuvre, le conseil de Berne s’assura de sa personne, reçut ses dépositions, et vérifia ce long tissu de crimes. Il fallut faire venir des juges ecclésiastiques de Rome ; il les força, par l’évidence de la vérité, à livrer les coupables au bras séculier ; ils furent brûlés le 31 mai 1509, à la porte de Marsilly. Tout le procès est encore dans les archives de Berne, et il a été imprimé plusieurs fois.