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tour[1]. Malheureux dans leurs sacrés repaires, ils voudraient rendre malheureux les autres hommes. Leurs cloîtres sont le séjour du repentir, de la discorde, et de la haine. Leur juridiction secrète est celle de Maroc et d’Alger. Ils enterrent pour la vie dans des cachots ceux de leurs frères qui peuvent les accuser. Enfin ils ont inventé l’Inquisition.

Je sais que dans la multitude de ces misérables qui infectent la moitié de l’Europe, et que la séduction, l’ignorance, la pauvreté, ont précipités dans des cloîtres à l’âge de quinze ans, il s’est trouvé des hommes d’un rare mérite, qui se sont élevés au-dessus de leur état, et qui ont rendu service à leur patrie ; mais j’ose assurer que tous les grands hommes dont le mérite a percé du cloître dans le monde ont tous été persécutés par leurs confrères. Tout savant, tout homme de génie y essuie plus de dégoûts, plus de traits de l’envie, qu’il n’en aurait éprouvé dans le monde. L’ignorant et le fanatique, qui soutiennent les intérêts de la besace, y ont plus de considération que n’en aurait le plus grand génie de l’Europe ; l’horreur qui règne dans ces cavernes paraît rarement aux yeux des séculiers, et quand elle éclate, c’est par des crimes qui étonnent. On a vu, au mois de mai de cette année, huit de ces malheureux qu’on nomme capucins accusés d’avoir égorgé leur supérieur dans Paris.

Cependant, par une fatalité étrange, des pères, des mères, des filles, disent à genoux tous leurs secrets à ces hommes, le rebut de la nature, qui, tout souillés de crimes, se vantent de remettre les péchés des hommes, au nom du Dieu qu’ils font de leurs propres mains.

Combien de fois ont-ils inspiré à ceux qu’ils appellent leurs pénitents toute l’atrocité de leur caractère ! C’est par eux que sont fomentées principalement ces haines religieuses qui rendent la vie si amère. Les juges qui ont condamné les Calas et les Sirven se confessent à des moines : ils ont donné deux moines à Calas pour l’accompagner au supplice. Ces deux hommes, moins barbares que leurs confrères, avouèrent d’abord que Calas, en expirant sur la roue, avait invoqué Dieu avec la résignation de l’innocence ; mais, quand nous leur avons demandé une attestation

  1. Voltaire avait dit en 1752, dans son Poëme sur la Loi naturelle (IIIe partie, in fine), voyez tome IX : <poem style="margin-left:15%">Je crois voir des forçats . . . . . . . . . . . . l’un sur l’autre acharnés, Combattre avec les fers dont ils sont enchaînés.<poem>