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COMMENTAIRE SUR LE LIVRE



XIV.
de la différence des lois politiques et des lois naturelles.

J’appelle lois naturelles celles que la nature indique dans tous les temps, à tous les hommes, pour le maintien de cette justice que la nature, quoi qu’on en dise, a gravée dans nos cœurs. Partout le vol, la violence, l’homicide, l’ingratitude envers les parents bienfaiteurs, le parjure commis pour nuire et non pour secourir un innocent, la conspiration contre sa patrie, sont des délits évidents, plus ou moins sévèrement réprimés, mais toujours justement.

J’appelle lois politiques ces lois faites selon le besoin présent, soit pour affermir la puissance, soit pour prévenir des malheurs.

On craint que l’ennemi ne reçoive des nouvelles d’une ville : on ferme les portes, on défend de s’échapper par les remparts, sous peine de mort.

On redoute une secte nouvelle, qui, se parant en public de son obéissance aux souverains, cabale en secret pour se soustraire à cette obéissance ; qui prêche que tous les hommes sont égaux, pour les soumettre également à ses nouveaux rites ; qui enfin, sous prétexte qu’il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes[1], et que la secte dominante est chargée de superstitions et de cérémonies ridicules, veut détruire ce qui est consacré par l’État ; on statue la peine de mort contre ceux qui, en dogmatisant publiquement en faveur de cette secte, peuvent porter le peuple à la révolte.

Deux ambitieux disputent un trône, le plus fort l’emporte : il décerne peine de mort contre les partisans du plus faible. Les juges deviennent les instruments de la vengeance du nouveau souverain, et les appuis de son autorité. Quiconque était en relation, sous Hugues Capet, avec Charles de Lorraine, risquait d’être condamné à mort s’il n’était puissant.

Lorsque Richard III, meurtrier de ses deux neveux, eut été reconnu roi d’Angleterre, le grand jury fit écarteler le chevalier Guillaume Colingbourne[2], coupable d’avoir écrit à un ami du comte de Richemond, qui levait alors des troupes, et qui régna

  1. Actes des apôtres , v, 29.
  2. En 1483.