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COMMENTAIRE SUR LE LIVRE

du duc d’York, depuis Jacques II, et plusieurs autres personnes, de haute trahison, et sa délation fut reçue : il jura d’abord devant le conseil du roi qu’il n’avait point vu ce secrétaire ; et ensuite il jura qu’il l’avait vu. Malgré ces illégalités et ces contradictions, le secrétaire fut exécuté.

Ce même Oates et un autre témoin déposèrent que cinquante jésuites avaient comploté d’assassiner le roi Charles II, et qu’ils avaient vu des commissions du P. Oliva, général des jésuites, pour les officiers qui devaient commander une armée de rebelles. Ces deux témoins suffirent pour faire arracher le cœur à plusieurs accusés, et leur en battre les joues[1]. Mais, en bonne foi, est-ce assez de deux témoins pour faire périr ceux qu’ils veulent perdre ? Il faut au moins que ces deux délateurs ne soient pas des fripons avérés ; il faut encore qu’ils ne déposent pas des choses improbables.

Il est bien évident que si les deux plus intègres magistrats du royaume accusaient un homme d’avoir conspiré avec le muphti pour circoncire tout le conseil d’État, le parlement, la chambre des comptes, l’archevêque et la Sorbonne, en vain ces deux magistrats jureraient qu’ils ont vu les lettres du muphti : on croirait plutôt qu’ils sont devenus fous qu’on n’aurait de foi à leur déposition. Il était tout aussi extravagant de supposer que le général des jésuites levait une armée en Angleterre qu’il le serait de croire que le muphti envoie circoncire la cour de France. Cependant on eut le malheur de croire Titus Oates, afin qu’il n’y eût aucune sorte de folie atroce qui ne fût entrée dans la tête des hommes[2].

Les lois d’Angleterre ne regardent pas comme coupables d’une conspiration ceux qui en sont instruits et qui ne la révèlent pas ; elles ont supposé que le délateur est aussi infâme que le conspirateur est coupable. En France, ceux qui savent une conspiration et ne la dénoncent pas sont punis de mort. Louis XI, contre lequel on conspirait souvent, porta cette loi terrible. Un Louis XII, un Henri IV ne l’eût jamais imaginée.

Cette loi non-seulement force un homme de bien à être délateur d’un crime qu’il pourrait prévenir par de sages conseils et par sa fermeté, mais elle l’expose encore à être puni comme calomniateur, parce qu’il est très-aisé que les conjurés prennent tellement leurs mesures qu’il ne puisse les convaincre.

  1. La fausseté des révélations d’Oates ayant été reconnue, il fut condamné à une prison perpétuelle, et à être fustigé quatre fois l’an par le bourreau. La révolution de 1688 lui rendit la liberté. (G. A.)
  2. Voyez tome XI, page 67 ; XXII, 434.